Je me baissais un peu afin de poser mon arme debout, appuyée contre le coin d'un angle de la pièce. Je posais ma main droite sur mon épaule gauche avant de faire des moulinés avec cette dernière. Non pas que mon arme était lourde, bien loin de la, mais le fait porte un poids, aussi dérisoire soit il, à l'aide de bretelles pendant des heures m'avais engourdit mes membres. Je profitais d'ailleurs pour retirer ma seconde ceinture et mes bretelles qui ne me servaient plus à rien à l'état. Je posais le tout aux côtés de mon arme.

Je balayais du regard la pièce, une chambre, plutôt petite mais amplement suffisante pour quelqu'un de minimaliste comme moi. Un lit, une table de chevet, rien de plus mais comme dit plus qu'assez. J'avais un lieu où me ressourcer en ce nouveau monde. J'étais dans la forteresse des gardiens, imposante structure défensive qui d'après les dires avait été investi par les membres de la première vague.

J'avais eu droit à un léger debriefing, ce monde était dirigé par une entité supérieur qui via des vortex amenait des personnes de différents univers pour peupler le sien. A la sortie de ces vortex cela créait des failles, failles dont un groupe, les Conquérants, désiraient contrôler la puissance pour pouvoir dominer ce monde, si ce n'est plus. Notre rôle en tant que Gardien, dont je faisais maintenant parti, était de maintenir hors de porté ces failles des Conquérant, si possible ne les refermant. Cela risquait il de nous enfermer ici ? Sans doute, mais le fait de rester piégé dans ce monde était un prix que les Gardiens étaient prêt à payer pour maintenir la paix ici, et c'était une vision que je partageais.

Je jetais un rapide coup d’œil à ma fenêtre, la neige était toujours présente, il faisait froid dehors, très froid. Le climat dans cette région était rude, j'avais eu le « loisir » de le sentir lors de mon arrivé dans la colossale et écrasante forteresse des Gardiens. Cela faisait déjà trois petits jours que nous étions arrivés à Fort Hivar, j'avais eu le temps de m'installer, de me faire recenser comme nouvelle membre des Gardiens et de me familiariser avec les lieux.

Il m'arrivait parfois de me perdre, mais c'était de plus en plus rare. De ce que j'avais comprit, la technologie n'était pas maîtrisée, enfin pas à un niveau tel que dans mon monde d'origine, c'était plus du bidouillage plus ou moins efficace des matières récupérées à mon point d'arrivé dans ce monde nommé Horizon par des connaisseurs en la matière que de vrais villes technologiques.

L’existence de tels moyens pour des personnes venant de mondes plus archaïques devait être assez gênant, voir troublant aux premiers abord, mais ils devaient bien s'y faire, d'autant que comme dit cela ne restait qu'une partie marginale de la culture de ce monde.

Je décidais de quitter ma fenêtre pour aller rendre visite à une personne bien précise,celle qui m'avais proposé de venir ici, celle qui m'avais donné un but en Horizon, Ruby. Je parcourais les couloirs de pierres un par un, traçant mentalement l’itinéraire pour aller de ma chambre à celle de la Gardienne. De ce que j'avais comprit Ruby était en plus une Gardienne influente, aussi j'avais décidé de ne pas venir la déranger ces derniers jours, mais il était temps de revenir la voir, pour deux raisons.

La première était simple, qu'elle m'indique une marche à suivre pour me trouver utile au sein des Gardien, une mission ou qu'importe qui me donne l'impression de me sentir utile. D'autre part j'avais une ambition plus... personnelle de la voir, j'avais juste envie de lui parler un peu, histoire d'avoir un semblant de contact humain. Malheureusement une bonne partie de ma vie je ne l'avais passée qu'aux côtés de mon père, et pouvoir parler franchement avec une nouvelle personne était tout de même quelque chose de plaisant. J'arrivais enfin au niveau de la forte de Ruby, je toquais trois fois à la porte avant de l’interpeller.

- « Ruby, tu es là ? Je suis venu discuter un peu. »

Je restais ainsi devant la porte, laissant Ruby m'ouvrir afin de pas m'incruster dans sa vie privée sans son accord.

La porte s'ouvrit assez rapidement, elle était là, m'accueillant avec un grand sourire, que je lui rendit. Elle n'avait rien perdu de sa beauté, son corps toujours aussi bien sculpté et sa chevelure encadrant son visage fin.

- Installe toi Isha ! Fais comme chez toi.

Je n'attendais pas plus de sa part pour m’exécuter. Elle me rapprocha une chaise, je ne me fis pas attendre pour me mettre à l'aise, aussi je m'asseyais sur le siège. Elle récupéra un verre rempli d'un liquide, j'arquais un sourcil, un alcool ?

- C'est un remède pour mon mal de dos apparemment. Mais n'y prêtes pas attention. Comment ça se déroule alors ton arrivée parmi nous ?

Je lui aurait bien proposée de l'aider à l'aide de mes pouvoirs, mais ceux-ci avaient fortement diminués, je n'avais pu que constater cela plus tard alors que j'essayais de fusionner avec les esprits. Certaines de mes capacités étaient comme verrouillées, les autres étaient juste plus faibles. Toujours était il que je ne pouvais l'aider à guérir de sa gène là où il ne m'aurait fallut qu'un peu de temps et de concentration pour qu'elle se sente déjà mieux.

Ruby posa le verre contre ses lèvres, buvant le remède d'une traite. Elle se resservi aussitôt, visiblement partie pour les enchaîner afin d'aider sa guérison, et j'espérais de tout cœur que cela marche. Bref je décidais de ne pas tourner autour du pot.

- « Je me suis bien installée, je commence à me familiariser avec ce monde, enfin surtout avec Fort Hivar, qui est une très belle forteresse d'ailleurs. Bref, je voulais savoir si tu n'aurais pas un travail à me confier, histoire que je me rende utile auprès des Gardiens. »

Alors que je commence à lui parler elle semble comme... bizarre, elle se met à suer à grosses gouttes, j'arque un sourcil, visiblement quelque chose ne va pas.

- « Tu te sens bien Ruby ? »

Elle attrape brusquement la bouteille, lisant l'étiquette, une allergie ? Je fronçais les sourcils, quelque chose ne tournait pas rond.


- Ca doit pas être très grave, c'est sûrement temporaire ne t'inquiète pas.

Mais alors qu'elle prononçait ses mots, elle commença à se tordre, ses bras à s'allonger, ses mains à se transformer en sabots. Ses cheveux devenaient peu à peu une crinière alors que la silhouette autrefois féminine et si belle de la demoiselle changeait sous mon regard du tout au tout pour celle d'une jument. Je m'étais bien sûr levée d'un bloc lorsque la transformation s'était lancé, mais je n'avais pu que la prendre dans mes bras, impuissante alors que ses vêtements se déchiraient sous la pression de sa nouvelle forme. En quelques secondes Ruby s'était métamorphosée en une jument à la peau blanche et à la crinière noir et aux reflets rouges.

Je me retrouvais là, dans cette situation, sans doute tout aussi hébétée qu'elle. Je me concentrais pour voir la forme de son âme, elle n'avait pas bougée, c'était donc toujours bel et bien Ruby. Je posais ma main sur sa tête un instant afin de créer un nouveau lien entre nos âmes, histoire d'entendre ses pensées, en espérant que ce ne soit pas ceux d'un animal sauvage. Pas que cela aurait été embêtant de maintenir une connexion avec Ruby si celle-ci se retrouvait avec une réflexion animale, mais cela aurait été plus ennuyeux pour comprendre d'où venait le problème.

Je retirais ma main, le lien était créé et tant qu'elle restait à une vingtaine de mètres de moi celui-ci perdurerait. Il me fallait tirer cette affaire au clair. Je n'avais plus besoin de parler à ce stade, juste de penser, de toute façon elle avait accès à tout.

« Ça va Ruby ? »

La question n'avait pas grande importance car la réponse ne pouvait être que sur une échelle négative, c'était surtout pour s'assurer qu'elle était toujours bien elle, avec sa conscience humaine et si elle m'entendais bien. Je saisissais la bouteille, il n'y avait rien d'indiqué dessus, étrange... c'était notre seul indice, il fallait donc creuser autour de ce dernier pour résoudre ce mystère.

« Tu sais qui t'as vendu ça ? Il va falloir lui rendre une petite visite pour lui toucher deux mots sur ton état. »

Le lien me permettais de le savoir autant que son attitude, elle était frustrée tout autant que confuse de son nouvel état. Elle essaie de se concentrer sur ma question, je la sens fouiller dans sa mémoire, le tout dans une sorte de confusion dû à sa nouvelle forme. Au fond de tout cela je ressens un partie d'elle qui est soulagée d'être en ma présence et de pouvoir communiquer avec moi via mon pouvoir, ce qui me laisse tout de même avec un léger sourire.

- C'est un marchand âgé qui me l'a vendu. Je ne l'avais jamais vu auparavant. Il m'a vendu ceci à prix d'or en m'affirmant que cela me soulagerait le dos.

Simple erreur ou bien sabotage volontaire du magnifique corps de Ruby ? Difficile à dire pour le moment, mais par acquis de conscience il fallait aller le voir. La jeune... jument m'indiqua tant bien que mal la position approximative du marchant, ce qui était amplement suffisant. C'est alors qu'elle fut frappée par une sorte de faim étrange, une envie de manger des kilos entiers de végétaux ainsi que le dégoût soudain pour la viande.

- Je crois que cela ne m'a pas qu'affecté le corps. J'ai une envie profonde de manger... de la salade ou autres choses vertes sans chaire. Tu crois que je vais rester comme cela pour toujours ? Et moi qui espérait me rapprocher de toi...

Je caressais d'une main la crinière de Ruby, tandis que de l'autre j'épousais la peau de ce qui était autrefois son nez.

« Ne t'inquiète pas, nous trouverons une solution, et puis même si tu reste ainsi rien ne nous empêche de nous rapprocher. J'espère seulement qu'au retour de ton état normal tu perdras cette faim... elle est quelque peut contagieuse. »

En effet mon ventre s'était mit aussi à crier famine, mais au moins il ne voulait pas spécialement des aliments verts. Ruby décida de passer en première, et quel ne fut pas le défi pour elle de marcher normalement sans abîmer le cadre de sa porte. Je sortais derrière elle, prenant la bouteille avec moi, le marchant allait devoir s'expliquer. Nous étions finalement dans la rue, le fait de me déplacer aux côtés d'une jument n'était en soit pas bizarre, ce qui nous permit de s'avancer au milieu de la foule sans être fusiller du regard.

- Je t'interdis de me vendre et de laisser quelqu'un me monter ... Bon... Sauf si c'est toi.

A sa dernière phrase on esprit se mit à penser à l'idée de « chevaucher Ruby » malheureusement pas dans le sens où elle l'avait dit (même si une simple lecture de ses pensées venaient de m'assurer qu'elle venait de se rendre compte du double sens de ses propos), ce qui me fit plus que rougir. J'essayais de retirer cette image de ma tête en espérant simplement qu'elle n'en ait rien vu, ce qui aurait été très embarassant, pourquoi l'esprit est fait de tel sorte que parfois il divague sur des sujets aussi puérils ?

« Ne t'inquiète pas, je ne vais pas te vendre, et non je ne vais pas te monter. J'ai des pieds, je suis en état de marcher alors je vais éviter de te charger encore plus, et puis si on en est là c'est à cause d'un problème de dos. Si le problème persiste à ton retour à la normal, qui me dis que le fait d'avoir été sur ton dos sous cette forme ne va pas aggraver ton cas une fois redevenu humaine. »

Nous continuions notre marche jusqu'à la zone indiqué par Ruby, par chance le marchant en question était à porté de vu, aussi je ne perdis pas de temps pour m'adresser à lui. Il me regarda étrangement avec ma bouteille à la main.

- « Bonjour que puis-je faire pour vous ? »

Je lui montre du doigt la jument à mes côtés en fronçant les sourcils.

- « Mon amie s'est retrouvée ainsi en buvant une potion « contre le mal de dos », vous vous doutez bien que je cherche un moyen de lui rendre sa forme normale. »

Il me regarda simplement, puis Ruby, de nouveau moi, puis encore Ruby. Il se leva, nous adressant un « attendez je crois que j'ai ce qu'il faut » avant que le vieil homme ne nous laisse quelques secondes toutes les deux. Il revint finalement avec un petit flacon qu'il me tendit.

- « 300 Devas »

Je le fixais avec des gros yeux, il était sérieux ? J'avais été briefée sur la monnaie de ce monde, j'avais d'ailleurs réussit en un temps record à amasser un petit pécule lors de ces trois derniers jours en faisant des petits travaux, physiques pour la plupart, et voilà que je devait griller la quasi totalité de mon argent de poche dans ce petit flacon.

- « 300 Devas ? C'est du vol ! D'autant que c'est pour réparer votre erreur. »

Le vieillard se nettoya l'oreille à l'ide de son auriculaire, visiblement insensible à mes propos.

- « Qui me dit que c'est bien ma potion ? Qu'elle n'a pas tout simplement mal lu la notice ou que vous n'essayez pas simplement de m'arnaquer ? »

- « C'est étrange mais pour le dernier point je ressens la même chose. »

- « 300 Devas, à prendre ou à laisser. »

Je fis une grimace en prenant ma bourse accrochée à ma ceinture, retirant la monnaie de cette poche de cuir, réduisant furieusement son poids et son volume. Je lâchais les pièces dans sa main, il me laissa alors le flacon. Je l'examinais sous toute les coutures, rien de noté, je croisais mon regard inquisiteur avec celui toujours aussi calme du vieil homme.

- « Cela ne va pas la transformer en autre chose j'espère ? »

- « Non non, d'ailleurs vous pouvez tester vous même, sur vous cela n'auras aucun effet. Au passage je n'ai pas eu le temps de la finir, vous devrez ramener une plante pour qu'elle soit complète. »

Je le fixais avec des gros yeux.

- « Parce qu'en plus elle est incomplète ?! A ce prix ?! »

- « Je vous l'ai dit, à prendre ou à laisser. De toute façon ça ne change rien au problème. Estimez vous chanceux que je vous vende cette potion malgré qu'elle soit incomplète. »

- « Étrangement le terme « chanceux » n'est pas la première qui me vient à l'esprit dans notre situation. »

Il sembla ignorer ma phrase, posant un petit croquis d'une fleur sur son comptoir.

- « Votre cible, une plante noir qui pousse dans les environs, vous ne devriez pas avoir trop de mal à la trouver. A plus tard, je terminerais « gratuitement » la potion si vous me la ramenez. »

Je fis une grimace, prenant le croquis dans un geste vif tout en gardant un visage sévère. Je tournais les talons, posant une main sur la tête de Ruby afin de lui faire signe de me suivre.

« Allons-y, ne perdons pas plus de temps avec cet escroc. »

Nous nous dirigions vers la sortie de la ville, Ruby fut un peu tendue par les regards des soldats dont elle supposait qu'ils avaient pu deviner en leur fort intérieur que la jument qui se baladait à mes côtés était bien la gardienne. Que cela soit le cas ou non ils ne firent que nous regarder un peu de travers et ne cherchèrent pas plus avant la véracité de la chose. Je sentais Ruby qui tentait de communiquer une fois de plus par le seul moyen qui était à notre disposition, la pensée.

- Je connais cette fleure... On la trouve à quelques heures de marches d'ici. Nous irions beaucoup plus vite avec un moyen de locomotion plus efficace...

D'après ce qu'elle ressentait, elle n'avait plus son mal de dos, mais la question restait toujours présente, cela réglerait il le problème une fois l'effet de la potion dissipé ?

- Je crois que tu sais ce à quoi je pense. Vas y te gène pas. Après tout faut bien que je sois utile dans le lot. C'est bien à cause de moi qu'on se retrouve dans cette galère non ?

Je ressentais tout de même au fond d'elle la crainte de ne pas pouvoir réussir non pas à soutenir mon poids, mais plutôt à réussir à se mouvoir comme elle le voudrait avec moi sur son dos. Ce nouveau corps était encore plus ou moins difficile à gérer pour Ruby et je le savais, je le sentais. Elle tenta de me sourire mentalement, à défaut de pouvoir le faire physiquement

- C'est toi qui décide. Mais saches que je suis contente que se soit toi et pas une autre.

Je souris à mon tour, je pose ma main sur le corps de la jument.

- « Ma réponse est toujours non, je ne veux pas être un poids pour toi, dans tout les sens du terme. J'ai la force de faire ce trajet alors je le ferais, tu as ton propre problème à régler, je ne vais pas me rajouter à cela. »

La marche se faisait simplement dans le grand froid, malgré une certaine résistance de ma part à ce genre de choses, ma tenue plutôt légère me laissa tout de même frissonnante dans ce climat des plus hostiles.

- « Je me verrais mal te chevaucher... »

Une nouvelle fois une image plutôt... peu subtile fit irruption dans mon esprit pour disparaître la seconde d'après.

- « … notamment car tu ressemble à quelqu'un d'important pour moi, et je sais que cette personne aurait à ma place presque été du genre à te porter plutôt que de te monter. »

Le visage de mon père se marqua alors dans mon esprit.



Le trait sévère et rude de son visage, sa barbe caractéristique, ses cheveux en bataille couleur de sang et sa peau rouge. En fait j'avais hérité de tellement de point physiques d'un homme aussi affirmé que mon père que cela me faisais presque dire que ma féminité devait laisser à désirer.

- « Les forts doivent utiliser leur force pour aider et protéger les faibles, pas pour les écraser de leur toute puissance. C'est l'un des points qu'il aimait me répéter, et actuellement tu es celle qui est affaiblie, alors je ne vais pas me reposer sur tes épaules pour simplement m'économiser le temps d'une balade. »

Je continuais mon pas, me tournant vers Ruby.

- « Et toi, tu as quelqu'un comme ça qui t'inspire ? Je veux dire, une sorte de modèle de vertu ? »

J'ai pu pendant ma propre avancée capter certaines émotions de Ruby, son léger malaise lors de ma vision embarrassante par exemple, ou simplement et sa fierté de m'avoir « fait avancé » dans le bon sens pour la pente de ma dépression. En effet elle avait réussit à me faire oublier mes soucis, au moins pour ces derniers jours, mais loin de moi l'idée de penser que tout pourrait redevenir comme avant.

Rien ne pourrait me faire devenir de nouveau la femme simple d'autrefois, à moins d'une amnésie mais loin de moi l'idée de vouloir oublier ce qui avait forgé la personne que j'étais aujourd'hui. Et puis l'amnésie n'aurait fait que retarder l'inévitable, soit la redécouverte de mes pleins pouvoirs et d'« elle », raisons de cette descente aux enfers. Mais en dehors de cela Ruby voyait que je suivais la voie des gardiens, mais pour cela fallait il que je fasse mes preuves avec de vrais actes, utiles pour la communauté complète dont nous faisions parti.

Elle réagit à l'image de mon père, au moins même pour elle, je lui ressemblais, enfin d'une part c'était normal, mais d'autre part c'était sans doute parce que mes propres sentiments devait avoir influencé la vision de Ruby à son égard. J'aurais voulu présenter la gardienne à mon père, lui montrer à quel point tout deux avaient des points communs, mais actuellement c'était bien impossible car nous étions toutes deux coincées ici.

Je lui posais alors ma question, qui n'était là que pour en savoir plus sur elle, et malheureusement j'avais visiblement mise les deux pieds dans le plat. L'avancée de la jument s'arrêta un instant, mon interrogation d'apparence anodine était en train de la remuer de tout son être. Le tout fut assez confus, dû entre autre à sa réflexion, à la surprise et à sa résistance mentale pour tenter de ne pas en dévoiler trop sur son esprit malgré le lien.

De ce que j'arrivais à suivre, elle avait eu des héros de contes comme modèle, enfin elle aurait voulu mais c'était plus complexe. En fait elle était en train de douter sur la nature même de l'origine de son héroïsme, elle repensait à la destruction de ces années où ces contes semblent possibles, et où finalement on ne comprend que tout n'est que chimère. Cette impression de sauter d'une période ou tout semble aller pour le mieux à une autre où tout s'effondre et où la vie retire son voile pour montrer son véritable et horrible visage.

Pour elle, je n'arrivais pas à savoir à quel moment elle avait franchit ce cap, pour ma part il était très facile de m'en souvenir, la séparation avec ma mère. Repenser à elle me faisait mal, c'était toujours ainsi, se remémorer d'une personne qui a gravé son cœur d'une marque indélébile et se rendre compte que les années passées en sa compagnie son derrière moi et n'aurons jamais de suite. Ruby commença à se souvenir que le lien était toujours actif, et décida de se ressaisir.

- Je suis désolée ! Ce n'est pas ce que tu crois... La transformation me perturbe réellement je crois.

Il y avait autre chose, c'était sûr, à tel point qu'elle même n'arrivait pas à se berner pour me le cacher. Son esprit se défendit pour faire barrage au mien afin d'éviter que je creuse plus avant, ce genre de choses étaient possibles, je le savais d'autant plus que j'étais moi aussi capable de cette prouesse pour tout ce qui touchait à ma mère. J'avais fait la promesse de ne rien divulguer sur elle et cela tiendrait toujours, même dans ce genres de liens. Bref, toujours était-il que je ne pouvais avoir accès à plus d'information sur le sujet dans l'esprit de Ruby, et je ne cherchais de toute façon pas à le faire, elle était déjà bien assez mal à l'aise par ma question que je n'aurais pas du poser pour que je vienne fouiner par moi même. Cela ne me regardais pas, et au pire elle m'en parlera quand elle sera prête.

- Bref... Allons y, je ne vais pas rester un cheval éternellement. Ah ah.

J'eus un léger sourire, gênée par ce qu'il venait de ce passer.

- « Oui, et ce sera plus pratique que ce corps. »

Alors que je disais ça, Ruby se mit à galoper un peu plus vite, comme pour contredire mon propos. Visiblement elle commençait à s'habituer à ce corps équidé. Dans un sourire, franc cette fois je décidais de la suivre en courant, accélérant le pas dans la nature hostile et froide qui nous entourait.

En fait c'était étrange, mais entre son corps et notre discussion interne, c'était tout simplement comme si l'environnement n'avait plus d'effet, ou plutôt comme si malgré le froid mordant qui nous frappait, notre attention était tellement dirigée sur autre chose que nos corps n'y faisait plus attention. Je savais que peut être cela n'allait pas vraiment faire plaisir à Ruby, mais je voulais revenir sur une partie de sa réflexion qui ne m'avais pas échappé, celle sur les héros qui ne pouvaient être tous purs.

- « Sur ce point tu as bien raison, tout le monde a une part de lui qu'il se doit d'assumer même si ce n'est pas la meilleurs. »

Je ne pouvais que me baser sur l'exemple le plus proche de moi à ce niveau.

- « Par exemple mon père, il... est lié à des forces sombres afin d'avoir le pouvoir de défendre des mondes entiers. Il a du faire des choses pas vraiment avouables pour l'obtenir, et pourtant il l'assume comme tel, des actes de trahisons qu'il savait et sait toujours comme étant une mauvaise chose, mais qu'il referait sans hésiter pour obtenir le pouvoir qu'il a actuellement.

Il nous arrivait souvent d'en parler, notamment sur l'égoïsme de cet acte. Il m'avait dit que malgré son idéal louable, cette puissance qu'il a acquit reste en soit un acte d'égoïsme pur, laissant derrière lui des personnes souffrir pour obtenir plus de force, même si la finalité reste de sauver plus e gens encore. »

Pour une raison inconnue, j'avais envie de parler de ces sujets avec elle, comme je le faisait avec mon père autrefois. Sans doute cela était dû à ce fond de ressemblance que je percevais entre ces deux personnes.

- « Je voudrais ton avis à ce sujet, pour toi est-ce que mon père à eu raison de sacrifier une parti de son passé et des personnes auxquelles il tenait pour obtenir plus de pouvoir, bien que ce soit pour défendre des mondes entiers ? Si ce même choix t'étais possible, comme par exemple faire du mal aux gardiens pour accomplir le devoir de ces même gardiens en un instant, le ferais-tu ? »

Ce n'était qu'une partie des réflexions que je voulais avoir avec Ruby, et je ne savais pas encore comment elle percevrait mon père via celle-ci, mais elle était une bonne entrée en matière pour laisser cours à ce genre de philosophies, au moins assez complète pour mériter une réflexion complète de la part de la jeune gardienne.

Le premier sentiment que je ressentis de la part de Ruby fut une certaine gêne, celle de partir sur un sujet qu'elle aurait voulu éviter, cela m'ennuyais de la mettre mal à l'aise mais en même temps je voulais avoir son avis sur le question.

Ce qui s'ensuivit fut sa réflexion, sa compréhension très précise très précise de la situation de mon père malgré les informations plutôt vagues que je lui avais fournit, la perspicacité de la jeune femme était surprenante. Je ne lui avait pas parlé du mal encore plus grand que mon père avait dû affronter à l'aide de sa nouvelle force mais elle l'avait deviné, au moins c'était une chose de moins à expliquer.

Vint ensuite le fait qu'elle savait ce genre de choix plus cornéliens étaient loin d'être faciles et que parfois le plus grand nombre ce devait d'être conservé au détriment de certains. Un souvenir lui revint mais son esprit, consciemment ou non, ne me permit pas d'y accéder, et comme tout à l'heure je ne comptais pas fouiller là où je n'avais pas besoin. Si un jour Ruby se sent prête à parler des squelettes dans son placard, alors elle le fera d'elle même, la patience est une vertu que l'on se doit d'avoir, surtout dans des relations de confiance.

Alors que je lui exposais mes dernières questions, l'esprit de Ruby, se durcit, enfin quelque chose comme ça, laissant apparaître une facette plus déterminé d'elle, plus sérieuse. Une fois encore cela ne fit que me faire penser à mon père, ces deux personnes se faisant écho à chaque pensées de la jeune femme, des êtres sages, loin d'être naïfs et stratèges, combattant hors pairs et sans peurs. Mais l'un comme l’autre savaient faire preuve de compassion et garder en eux la marque de ceux morts à leurs côtés, non comme un boulet à tirer, mais comme une expérience leur permettant d'avancer. Cela me fis sourire, j'attendais la réponse de Ruby, mais déjà je ne m'attendais qu'à un avis réfléchi et sage de la gardienne équidé.

- Chaque Gardien sait dans quoi il s'engage lorsqu'il le devient. Ma vie non... nos vies sont consacrées à un même but. Je ferais sans conteste du mal à ces mêmes gardiens si cela nous permet d'accomplir cet objectif. Tous simplement car c'est eux qui ont confié leurs existences à cette cause et que rien ne les rendraient plus fiers que d'avoir permit l’accomplissement de celle-ci. On a tous décidé de cela. Mais je ne ferais jamais du mal à ceux qui ne sont pas engagés pour arriver à mes fins. Chaque problème à sa solution, et c'est pour cela qu'on me fait confiance.

J'avais pensé juste, une fois encore elle restait sur la ligne de ce que mon père pensait, savoir se sacrifier pour son but était plus qu'envisageable, et si cela devait être fait, mon père n'hésiterais pas à se sacrifier pour le bien du plus grand nombre, comme l'avait fait certains de ses compagnons par le passé pour lui donner le pouvoir de devenir un démon.

- « Et comme tout les autres gardiens, je serais prête à mettre ma vie en jeu pour l'idéal que nous représentons. »


- Mais je te rassure... On me fait confiance surtout car je suis la plus à même à sauver tous le maximum de monde qu'importe ses pensées.

- « Je n'en doute pas. »

Quelque chose sembla attirer son attention.

- Regarde là bas ! Je crois qu'on a trouvé la plante qu'on cherchait. C'est comme si j'avais oublié l'espace d'un instant mon état... équestre.

Je n'attendis pas une seconde de plus pour foncer sur la dite plante, je l'attrapais délicatement, plongeant mes mains dans la neige, le froid mordant de cette région inhospitalière toujours présent mais qui n'avait pas prise sur moi. Du moins mon esprit chassait ce genre de désagréments, laissant la souffrance à mon corps seul afin que je me concentre sur l'essentiel. Je me mis à courir dans le sens inverse, tournant l'étalon... euh, les talons vers notre point de départ, il nous fallait rendre la plante au marchant. Ce dernier avait bien intérêt à terminer sa fichu potion qui m'avais coûté un bras, mais surtout que cette dernière marche, sinon cela risquait de barder.

- « Ne perdons pas plus de temps, contentons nous d'aller vite pour le retour, débarrassons nous de ton... état au plus vite. »

Je courrais autant que possible dans la neige qui gênait mes déplacements, mais je gardais le rythme, ce n'était pas un peu de poudreuse qui allait m'empêcher d'arriver à notre but. Après quelques dizaines de minutes nous étions de retour en ville. Je me dirigeais vers le vieux marchant qui me regarda de travers, je lui présentais la plante.

- « La voilà, vous me la terminez cette potion alors ? »

Il attrapa la petite fiole ainsi que la plante.

- « Oui oui. »

Il s'écarta un peu de son comptoir, s'occupant de son « œuvre » alchimique, Ruby était bien à mes côtés, son état n'allait plus durer longtemps. Après quelques longes minutes d'attente, le vieux marchant me retendit la fiole qui avait légèrement changé de teinte.

- « C'est bon ce coup ci ? Vous êtes sûr que ce n'est pas encore une autre potion ? »

Il me fit un signe de la tête.

- « Buvez en un peu, si rien ne ce passe alors ce sera une preuve. »

Je n'aimais pas trop l'idée de faire confiance en un marchant qui s'était déjà trompé de potion à fournir, mais dans le cas présent je n'avais pas trop le choix. Je comptais tout de même vérifier le mélange, juste au cas où, la méthode empirique étant la seule capable de me prouver la véracité du vieillard. Je pris une petite gorgée, qui comparé à la fiole signifia presque la moitié de son contenu, j'attendis quelques secondes, rien, pas de transformation ou d'effet secondaire, c'était bon.

- « Vous voyez. »

- « En effet. »

Je me tournais vers Ruby, lui ouvrant légèrement la gueule afin de lui administrer la fin du liquide.

- « Ne t'inquiète pas ce sera bientôt fini. »

Alors que je finissais de lui faire boire le flacon, je fus prise d'une étrange migraine et d'un puissant vertige, rompant presque notre lien. Je me remettais tout de même assez rapidement de cette légère absence, sentant quelque chose de... différent. J'essayais de bouger mais je sentais que... je n'étais plus comme avant, j'avais quatre jambes, jambes ? Je me regardais, je n'avais plus rien d'humain ! J'étais également devenu une jument, tout comme Ruby avant moi, paniquée je fis quelques pas en arrière en hennissant.

« Ruby ! Je me suis aussi transformée ! Où es tu ?! »

Je regardais autour de moi avant de... me voir, je n'avais pas d'autre manière d'expliquer, sous mes yeux d'équidés je me voyais, là, en face de moi, me regardant avec incompréhension.

« Mais qu'est-ce qui se passe ? »

- Calmes toi. Je ne te comprend pas, le lien s'est brisé !

Il était assez troublant d'entendre ma propre voix depuis des oreilles extérieurs, mais ce qui était d'autant plus gênant était que, comme l'avait souligné celle qui possédait maintenant mon corps, c'était que le lien était rompu. Ainsi séparés il ne nous restait aucun moyen de communiquer, si j'en avais eu la capacité, une large grimace aurait recouvert mon visage, mais en l'état actuel cela aurait été compliqué.

Moi, enfin Ruby, se rapprocha de mon corps de jument afin de m'enlacer pour me calmer, je n'étais pas apeurée mais j'avais juste été surprise sur le coup. Maintenant la surprise avait laissé place à un profond malaise. Non content de ne pas avoir réussi à régler le problème, voilà que je l'avais empiré, Ruby n'avait toujours pas retrouvée son corps d'origine. Certes pour l'instant elle se retrouvait en meilleure position que précédemment mais il y avait tout de même un grand pas entre une bonne et une meilleure situation, et le cas actuel en était un bon exemple.

- Où est le marchand ?

Je regardais à droite et à gauche de ma nouvelle tête de jument, en effet il s'était enfuit, profitant du chaos qu'avait produit notre échange de corps pour prendre la poudre d'escampette. Le vieil homme s'était envolé d'un coup, on aurait pu partir à sa recherche, mais à quoi bon ? Je n'avais plus mon corps et risquais d'être un poids mort pour Ruby, de plus si c'était pour nous donner une autre potion inutile et qui coûte un bras, autant ne pas le retrouver. Je n'aurais pas été contre un remboursement, mais là je n'étais pas vraiment d'humeur a être avare et à penser à mon argent dérobé par cet escroc.

- Isha, il faut que tu restes calmes, je te promet de trouver une solution !

Le problème n'était pas qu'elle trouve une solution, en cela je n'avais aucun doute, mais c'était qu'à cause de mon erreur de jugement j'avais empirée la situation et qu'avec ça Ruby allait perdre du temps et de l'énergie pour tenter de corriger mes fautes. Je baissais un peu la tête, c'était ignoble, une fois de plus j'étais inutile, c'était plus que frustrant, une fois encore j'avais la preuve qui si je n'avais pas existé, tout ce serait mieux passé. Peut-être qu'elle aurait eu de l'aide de gardiens plus compétents qui auraient réglés le problème avec ingéniosité, ou bien même avec un effet papillon, notre rencontre avait peut-être mené à son mal de dos, et elle n'aurait peut être même pas finie dans cet état.

J'essayais de m’asseoir, du moins autant que possible dans ce corps nouveau et assez peu maniable, il ne me restait qu'une chose à faire, attendre, en l'état je ne pouvais rien faire de plus. Cerise sur le gâteau je n'avais plus accès à mes pouvoirs, ce qui voulait donc dire que c'était Ruby qui pouvait les employer. Un frisson parcourut mon dos, cela voulait dire qu'elle pouvait, par mégarde, blesser quelqu'un avec ma malédiction d'abomination ? C'était malheureusement une finalité envisageable, et la seule chose capable de l'empêcher serait la chance, qui n'était pas vraiment en notre faveur, il fallait bien le dire...