La forêt était calme pour une fin de journée. Trop calme même. Pas un chant d'oiseau n'en égayait le silence. Le pas dissonant des groupes d'animaux ne résonnait plus depuis longtemps ici. La feuillage des arbres lui même semblait vouloir étouffer aussi bien les sons que les espoirs d'une lueur prochaine. La chaleur ne changeait pas et semblait pourtant terriblement forte, se collant à la peau sous forme d'une sueur imaginaire. Ce genre de chaleur que seul votre esprit est capable de produire grâce à l'imagination galopante des peurs cherchant à ramener les individus sur le droit chemin.

Pourtant il n'y avait pour le moment rien de bien impressionnant. Les feuilles restaient des feuilles, les arbres des arbres et le silence silencieux. Quoi de plus normal ? Dans un village peut être, or ici en forêt. La nuit amène son lot de bruissements, ses grognements dans les buissons et les glapissements s'éloignant à toute vitesse. La nuit s'installe dans le hululement des volatiles nocturnes et le murmure du vent dans les branches.
Mais pas dans cette forêt, pas sur cette route, et surtout pas ici après la croisée des chemins. Il vous restait une chance de ne pas entrer en enfer, mais vous avez choisit le mauvais sentier.
Passons maintenant du côté des ombres silencieuses.

Je dormais, ou plutôt je somnolais. Quelque part sur la route devait subsister les restes de mon dernier repas. Un duo de voyageurs, ils avaient fait longue route à en juger par l'odeur de sueur qui les imprégnait et s'étaient donc retrouvés sans force face à moi. Le plus délectable met qu'ils m'aient offert avait été le déchirement de la jeune femme lorsque ma lame avait mordu la chair de son compagnon en le transperçant. Toute l'horreur de son regard suffisait pour que je festoie déjà sans mordre le cadavre chaud. Elle même n'avait pas eut le droit de survivre bien longtemps. Une seconde plus tard sa tête glissait de son cou, celui ci tranché net.
J'attendais désormais je ne savais trop quoi. Que quelque chose se passe car je n'avais plus rien à faire. Depuis une ou deux semaine déjà je ne parvenais plus à mettre la griffe sur quoi que ce soit dans ce maudit refuge à vide. Les animaux avaient fuit, me laissant seule avec les arbres et les quelques rares voyageurs. Ceux ci avaient aussi finit pas déserter la route, trop petite, trop sinueuse, trop mal entretenue mais surtout trop dangereuse sans escorte.
Je me languissais donc dans un profond ennuis. Mes journées passaient, dans une lenteur infinie. Je parcourais les bois sans autre espoir que trouver une vie à qui apporter la mort. Je sillonnais les cieux sans avoir plus de chances que de tomber sur un pigeon famélique.
De fait, même si je n'avais pas besoin de dormir, une notion qui m'était par ailleurs totalement inconnue pour le moment, j'en étais réduite à attendre, étendue sur une branche comme un linge dans le vent, que quelque chose se passe, quoi que ce soit.

Et enfin, alors que je commençait à ronger la branche face à moi pour occuper mes crocs, un son se fit entendre. Quelque chose d'un peu lointain, comme une note dissonante dans la mélopée du silence.
Un frisson parcouru mon corps épuisé de ne rien faire, se propageant depuis mes oreilles alertes au reste du corps en une onde vivifiante.
Me laissant glisser de ma branche j'emportais avec moi une partie de l'écorce du pauvre arbre toujours victime de mon effrayante dentition.

Un bond plus tard je me retrouvais dans les buissons les plus proches, veillant à ne pas faire craquer plus de branches que nécessaire pour m'y terrer. Les oreilles à la verticale sur le crâne je cherchais alors à repérer de nouveau le bruit. Il était proche, plus que tout à l'heure.
Cela ne pouvait signifier qu'une chose, quelqu'un approchait sur le chemin de terre tassée passant par mon morceau de forêt. Une nouvelle proie !
Ou alors… non plutôt un intrus. J'avais eut mon quota de proies pour le moment et ma faim ne se réveillerait pas tout de suite. Mais il fallait tout de même que je mette mes griffes sur cet individu qui osait venir empiéter sur mon territoire.

Quelques secondes me suffirent pour arriver à hauteur du chemin. Tapie dans les ombres seules d'anciennes traces de griffures, des copeaux au sol et les estafilades profondes dont ils provenaient dans les troncs pouvaient témoigner de ma présence en ces lieux.
J'attendis alors. Il allait arriver, je le savais. Je voulais sentir sa peur, sa frayeur. Je voulais entendre son coeur battre. Le tambour de ses veines pulser sourdement et m'emplir d'une joie surnaturelle.
Impatiente je serrais donc la poignée de ma lame d'une main.
Enfin le pas crissa sur la poussière sèche du sentier. Je vis alors se profiler une silhouette dans la pénombre grandissante du soir. Bientôt il ferait totalement nuit, il serait perdu chez moi et je ne comptais pas le laisser repartir tranquillement. Il comprendrait ce que la nuit avait d'effrayant.

Je le prévint d'emblée du danger. Grondant sourdement depuis mon refuge de verdure. Mes yeux scintillants dans les ombres devaient se détacher en ronds pâles. Peu de lumière les illuminaient encore et ils semblaient deux faibles lueurs dans le brouillard.
L'homme à ma hauteur je sortit en rampant de ma cache. Aux aguets je surveillais ses faits et gestes. Je le scrutait de mes pupilles sombres. Dévoilant peu à peu mon corps fin, ma fourrure sale, pleine de taches de crasse. Une plaie me barrait le flanc droit, résultat d'une altercation datant de la semaine dernière et qui peinait à se refermer complètement du fait de ma faible régénération.
Les babines retroussées je dévoilait ma dentition de prédateur et fronçait le museau. Qu'il s'avise de m'agresser et je le ferait reposer à jamais sur le sol avec pour toute tombe l'air étouffant de la forêt.

Ma proie ne semblait pas plus impressionnée que ça par mon apparition. Dommage, j'aurais apprécier sentir la peur couler peu à peu dans ses veines comme un poison insidieux. J'aurais voulut voir la crainte s'installer peu à peu dans ses yeux, en chassant l'assurance idiote qui y régnait pour le moment.
Le grondement faisant vibrer ma gorge enfla tandis que mon épée traçait un sillon dans le sol. Je commençais à le contourner sans quitter son regard du mien, sur mes gardes. Chacun de mes mouvements me coûtait. J'avais beau être venue jusqu'ici sans trop de problème la position ramassée dans laquelle je me tenais, prête à bondir, tirait sur ma plaie. Je devais donc serrer les dents, un courant électrique suave mélange de plaisir et de souffrance parcourant tout mon corps au moindre mouvement.

Mais je ne me détournais pas de mon but pour autant, si j'avais bougé de ma branche c'était pour une bonne raison. Personne ne pouvais empiéter sur mon territoire en toute impunité, et mon territoire se trouvait pour le moment être cette large portion de forêt dense. Un bout de viande s'y était aventuré, aussi incroyable soient ses tours de passe passe je ne le laisserait pas partir tranquille.
Pourtant… pourtant je commençais à ressentir quelque chose de différent. De grisant à vrai dire. Le voir appeler une lame en levant simplement une main pleine de lumière m'avait remplit de colère. J'aurais voulu lui sauter à la gorge, planter mon épée dans sa chair, crever ses yeux et répandre son sang jusque sur les frondaisons.
Mais je ne pouvais pas. Bien qu'aimant ressentir toute douleur, même la mienne, je savais aussi que ma plaie n'était pas bénigne. Je ressentait encore la morsure d'une lame dans ma chair et le tiraillement de la croûte sale se craquelant lorsque je tirais trop en faisant perler mon sang. Non je ne pouvais pas me permettre de me jeter sans réfléchir sur lui, sur quiconque même. Un simple paysan aurait put me fouiller les entrailles d'un coup de bâton bien placé.

C'était rageant ! Terriblement rageant ! Moi ! Créature de la destruction ! Incarnation de la violence sans mesure ! Je ne pouvais me confronter à ce simple humain d'allure pourtant bien faible. Quelle horreur, quelle disgrâce… et qu'elle rage ! La simple idée de devoir faire profil bas me rendait folle. Je sentais le feu de pensées bouillonnantes menacer de fissurer mon crâne. Et soudain c'est une voix reconnaissable entre toute qui fit vibrer l'intérieur de ma tête.

*Que fais tu ?! Qu'attends-tu ?! Frappe ! Taille ! Perce ! Mord le ! Déchire le ! Détruit le ! Je veux entendre ses cris à travers les mondes ! Je veux frémir quand ses os se briseront ! Ne te retiens pas ! Laisse ton essence se révéler ! Rugit à la face de ces être insensés qui osent se mesurer à toi ! Tu es ma chose ! Mon avatar ! Ma créature ! ÉCRASE LE !!!*

Sa voix me submergea, je sentis sa fureur courir dans mes veines, sa haine de tout emplir le cours de mes pensées pour le transformer en fleuve furieux. Je perdis pieds.
Relevant le museau en dévoilant un expression de pure rage je fit retentir ma voix dans la forêt d'un rugissement formidable. L'air frémit, le sol trembla et le temps suspendit son cours. Puis je me jetais sur l'objet de mon ressentiment, rouvrant par la même totalement ma plaie ce qui en fit jaillir un sang chaud et poisseux tandis que me bondissais en avant, épée devant le museau et gueule ouverte pour déchirer ce que je trancherait d'une morsure sanguinolente.

L'assaut était lancé. Avec la force qui me caractérisais je tentais de pourfendre d'un coup unique celui qui se tenait face à moi. Ce ne devrait pas être bien difficile, il n'était après tout qu'un simple être de chair et de sang. Je pouvais sentir avant même de me rapprocher de lui son pouls comme une onde attirante. Je voyais le rouge de ses joues et le bleu de ses veines. Il était un bout de viande, un bout de viande ne pourrait jamais m'arrêter. Et comme mon seigneur l'avait demandé, je ne le laisserait finalement pas partir, il allait devoir périr ici.
La lame en avant, la raison inhibée par le déchaînement de fureur que je ressentais, il était pour moi impossible qu'il me batte, ou simplement qu'il parvienne à me tenir tête. Mais j'aurais dut savoir qu'attaquer dans l'état dans lequel je me trouvais relevait de tout sauf de la bonne idée. Les sang commençant déjà à ruisseler sur mon flanc c'est mon corps tout entier qui fut ébranlé par le choc de nos armes. Je répondit la parade par un rugissement animal en me préparant à assener le deuxième coup.
Celui n'arriva malheureusement jamais. Je dus m'arc-bouter tandis que l'humain me repoussait avec force. Je n'aurais normalement eut aucun problème à lui répondre d'un second assaut si seulement la mort ne m'avait pas barré le flanc. Au sol la terre se couvrait déjà d'une couverture pourpre. Ma patte gauche devait me servir à prendre appuis mais le choc ébranla l'ensemble de mon corps en me faisant ressentir plus que je ne l'aurais voulu le déchirement jouissif de ma chair.

Il me devint alors impossible d'endiguer la suffocation qui s'empara de ma poitrine. Malgré les impulsions furieuses de ma rage je ne trouvais pas la force de repartir combattre. Mon corps entier hurlait, fracassant mon crâne de ses cris. Tout ce que j'allais gagner ici serait la mort. Je devais fuir, même si cela ne faisait pas parti de mes habitudes le choix ne s'offrait plus à moi entre combattre et battre en retraite. Malheureusement je n'eut pas même le temps d'amorcer ma fuite que la semelle de mon assaillant écrasait ma plaie avec tant de violence que mes côtes gémirent douloureusement.
Serrant les crocs je grondais, terminant dans un gargouillis alors que je m'effondrais au sol, tête dans la poussière et fourrure empoissée de limon sanglant. Avec un râle frôlant l'agonie je tentais de ne pas échapper ma lame qui dérapa sur la terre dure sous sa croûte rougie.
Ma poigne dérapa sur la poignée avant de glisser le long de la garde. Un petit tintement cristallin attesta de la rencontre de mon arme avec le sol. J'étais foutu, j'aurais du fuir bien avant. Mais comment me douter qu'un simple humain, que qui que ce soit en fait, parviendrait à s'en prendre ainsi à moi et à m'envoyer aux portes de l'enfer.
La douleur était trop importante, surpassant ce à quoi j'avais eut l'habitude jusque là. N'importe qui serait tombé dans le coma, pas moi. Je n'étais pas faite pour, j'avais des fonctions vitales, comme tous, mais bien amoindries, et les mécanismes de secours des corps normaux n'avaient pas fait partit des impératifs de mon créateur. De fait le coma comme le sommeil m'étaient des retraites interdites.
Heureusement cela ne possédait pas que des mauvais côtés. Je pouvais me réjouir de ne pas mourir d’hémorragie justement parce que je restais consciente. Mon corps profitait de ma souffrance absolue pour se nourrir et me régénérer le plus vite possible. Bien entendu cela ne fonctionnait pas parfaitement mais le temps que mon adversaire se rapproche à nouveau pour me menacer d'une lame de plus il était au moins parvenu à réduire la perte de sang pour qu'elle ne soit plus qu'un petit filet coulant dans ma fourrure.

La suffocation cessa peut à peu, j'étais toujours en danger de mort mais celle ci n'était plus une fatalité. Même pour quelqu'un d'aussi peu précautionneux que moi par rapport à sa santé c'était une nouvelle rassurante. Je pourrai éventuellement survivre, du moins si l'épée que l'on venait de me glisser sous la gorge n'en décidait pas autrement. Ou peut être celle titillant les bords de ma plaie béante, menaçant de s'enfoncer dans l'un de mes poumons à tout moment.
Dire que je ne pouvais rien faire contre cela serait un euphémisme. Je ne pouvais en réalité rien faire du tout. L'étranger aurait continué sa route en me laissant pour morte qu'il aurait certainement fallut toute la nuit pour que je sois à nouveau en état de me mouvoir sans risquer de m’effondrer l'écume aux babines. Mais il en avait apparemment décidé autrement et j’apercevais son regard froid du coin de l’œil.
Je détestais que l'on me prenne de haut, il n'était qu'une proie après tout, comment pouvait-il se permettre ce genre de choses ! Un grondement commença de fait à ronfler dans mon museau. Il fut cependant bien vite stoppé par le picotement de lame contre ma gorge vibrante.
Je dus donc me résoudre à abandonner mon côté agressif, du moins en façade. Cela me demanda un effort plus grand que je ne l'aurais cru. Le fait que je n’ai pas eut le choix m'y aida grandement. Lentement le roulement de mes cordes vocales décrut pour laisser place à un silence tout relatif.
J'avais tourné le museau sur le côté, je le regardais. Au fond de les yeux brûlait une lueur de haine enchaînée. Pour le moment je ne tenterais rien, je n'en avais ni la force ni la folie, mon maître lui même s'était replié en son monde non sans laisser une trace de dégoût derrière lui. Il devait être en colère de me voir si faible.
Mais je ne pouvais pas faire plus. Mon corps ne résisterait pas à une nouvelle meurtrissure. Le profil bas était à adopter et conserver jusqu'à ce que je sois au moins en mesure de m'échapper sans risquer de mourir au bout de deux pas chancelants.

Le souffle court des élancements délicieusement douloureux irradiant l'ensemble de mon corps je l'observais. Je ne savais pas quoi faire, la position de faiblesse n'étant pas celle à laquelle j'avais l'habitude. Si j'en avais eut la force je lui aurait certainement déchiré le visage de mes crocs pour un tel affront. Mais en ce moment même ma vue était un peu brouillée et, le museau tourné vers mon ennemi, je ne pouvais distinguer sa pupille de son iris, trop mal en point.
Un soubresaut m'agita le corps bien malgré moi et je lâchais une plainte misérable lorsque la pointe de son épée pénétra ma chair déjà bien trop mise à mal. Non je n'avais vraiment pas le choix… Je devais abandonner la lutte.
Avec une grimace ma tête heurta de nouveau le sol, mon souffle soulevant un petit nuage devant mes naseaux.

Le clame. Je devais me concentrer sur le calme. Il ne fallait surtout pas que je le perde où le voyageur m’exécuterait sans sommation supplémentaire. C'était du moins ce que son regard me laissait à penser.
Et quelle rage je devais endiguer ! L'insupportable affront de ne pas avoir gagné. Pire, me voila vaincu et incapable de plus de mouvements que des gestes lents et faibles.
Préférant ne pas m'attirer plus de foudres de la part du prédateur aux épées je choisis de rester comme j'étais. Le museau contre la terre et la respiration sifflante. Si seulement j'avais put voler. Avec une telle blessure au flanc cela relevait du suicide. Je me serais écrasée quelques mètres plus loin. Et ce seulement si je parvenais à quitter le sol au par avant.
Un nouvel élan de colère irradie dans l'ensemble de mon corps. Il est si exaspérant de se retrouver réduite à un tel état de faiblesse. Serrant les mâchoires je me contente d'un petit grognement lorsqu'il bouge au dessus de moi. Ma plus grande crainte étant de périr. Heureusement sa décision était toute autre et la promesse d'une morsure froide s'éloigna, une grande part de ma haine avec.
Méfiante de nature je le regardais tout de même avec une certaine appréhension, ou rancune, dans les dernières lueurs du jour. Il ne semblait plus vouloir m'attaquer pour le moment, ce qui signifiait pas non plus que je sois sauve. Quoi qu'il en soit si le combat devait se relancer ce ne serait pas de mon fait, j'avais bien trop de chance de perdre, et ici ce ne serait pas un simple bout de viande qui viendrait à me manquer mais la totalité de ma vie qui s'éteindrait d'un seul coup.
Tout de même… je tentais de rouler un peu sur le flanc dans la direction du léger tintement ayant retentit un, peu plus tôt. La blessure ne saignait déjà plus. Je savais que la cicatrisation prendrait un certain temps et qu'il me faudrait pour cela beaucoup de nourriture, mais pour le moment je me contentais de ce que j'avais. Pouvoir encore bouger sans saigner c'était bien, un bon début.
Allongée à plat ventre maintenant je vis donc mon arme. Toute de lymphe translucide elle attendait, comme un appel à la violence juste devant mon museau. Elle semblait vibrer d'une énergie calme et sourde dans l'obscurité grandissante et mon coeur bondit à son appel. Il me semblait si facile de transpercer tout ce qui m'irritait avec elle. Pourtant ma seule relation avec cette superbe aiguille était pour le moment un contact visuel et mon souffle caressant son fil acéré.

Ce fut un son dans mon dos qui me tira de ma contemplation. L'humain. Il était encore là et pas décidé à me laisser tranquille. J'avais envie de rugir de colère rien qu'au son de sa voix. Comment aurait-il put en être autrement avec cet être incarnant toute ma frustration. Pourtant je tâchais de me contenir, laissant seulement entendre un grondement continu en fond sonore.
Je ne comprenais pas ce qu'il disait, en fait je n'avais même aucune idée de ce qu'il faisait. Il me parlait ? Peut être quelqu'un d'autre l'avait-il rejoint pendant que je m'attardais dans les brumes de mon ressentiment. Avec un gémissement douloureux je tâchais donc de me remettre à genoux, une croûte sanguine et terreuse sur tout un côté et une partie du buste.
Lentement je me traînais jusqu'au tronc le plus proche pour m'y appuyer. Le souffle court mon dos toucha enfin l'écorce. Je ne sentis même pas qu'elle était rugueuse, mon corps était comme parcouru d'un fourmillement interminable. Épuisé par la violence des derniers assauts, par la douleur et la régénération de ma plaie, laquelle tentait de cicatriser depuis un moment déjà, il était en fait à bout de forces.
Légèrement haletante je dévisageais alors celui qui me faisait face. Le museau entrouvert je le voyais comme à travers la brume des chaudes matinées. Il avait planté ses lames devant et… faisait ce truc que bien des gens passant pas ma forêt avait prit pour habitude de faire.
Il ne criait pas, il ne pleurait pas non plus, ce n'avait rien d'un gémissement, mais un son sortait indubitablement de sa bouche. Qu'est-ce que cela pouvait bien être ? Je n'en avais aucune idée.

Cependant, étant donné que je n'avais rien d'autre à faire que remâcher ma rancœur tout en attendant d'avoir reprit assez de forces pour partir, je me décidais à y faire plus attention. Les oreilles attentive je tentais de deviner ce qu'il faisait. Ses yeux me fixaient. Je devais avoir quelque chose à faire la dedans, mais quoi… Je tentais un grognement mais visiblement ce n'était pas la réaction attendue. Il recommença alors, mais plus lentement cette fois. Le museau plissé sous l'effort de concentration que je devais faire je tentais de comprendre ce qui se passait. N'ayant finalement toujours aucune idée de ce qu'il convenait d'apporter comme réaction je prit mon épée et la tint droite devant moi, comme si je la lui montrait après qu'il me l'ai demandé. L'air très sérieuse j'attendais, de toute façon il avait des épées lui aussi, et il tapait avec, ça devait bien être ça la solution…

Je ne savais pas quoi faire. Je tenais juste mon épée devant moi, attendant une possible réaction de la part de l'étranger. Étrangement il sembla changer un peu. Son visage laissa passer quelques expressions fugaces avant qu'un rire s'échappe de sa gorge. Ne sachant pas ce que cela signifiait je remuais un peu ma lame devant moi, cherchant à capter à nouveau son attention car je n'avais rien d'autre à faire.
Attendant qu'il se ressaisisse je me mordillais un peu la langue. Nerveuse ? Je ne savais même pas ce que ce mot voulais dire, je ne connaissais pas cette sensation. Pourtant un certain malaise s'empara de moi lorsque le rire du combattant s'éteignit. Son regard changea, son sourire mourut et il se releva, une arme à la main.
Tout ce qu'il ne fallait pas faire en somme.

L'instinct animal reprenant le dessus je me recroquevillais un peu sur moi même. Les ailes rabattues sur les flancs à la manière d'une protection je gardais ma lame haute devant moi, rempart face à quelqu'un dont je ne savais rien. L'éclat de son arme accrocha mon regard et celui ci s'étrécit tandis que je montrais les crocs en grondant sourdement, un bruit qui enfla à mesure qu'il approchait. Je préférais encore risquer la mort en le défiant à nouveau que le laisser s'approcher de trop et ne pas pouvoir réagir ensuite.
Dans mon dos ma queue frottait contre le tronc et la poussière du sol, les griffes de mes pattes labouraient le sol en perspective d'un bond. Mon coeur prit de la rapidité et le sang pulsa à mes tempes, les oreilles tremblantes je m’apprêtais à lui sauter à la gorge quand il s'arrêta. Il restait ainsi une distance respectable entre lui et moi.
Mon esprit se battit alors entre peur, angoisse, agressivité, curiosité et intérêt. Finalement ce sont les deux derniers qui l'emportèrent sur l'ensemble des autres sentiments. Même si je gardais l'angoisse en réserve de façon à rester en alerte, un « faux mouvement » pourrait facilement me blesser plus que de raison.
Je ne pus cependant me retenir de retrouver mon air curieux lorsque, d'un doigt, l'humain pointa son arme puis la mienne. Ses lèvres bougèrent, des mots résonnèrent à mes oreilles, mais je ne comprenais toujours pas ce qui se passais. Bien entendu je savais qu'il y avait quelque chose à faire, ça se voyait comme la truffe au bout du museau, mais le mystère restait total pour moi.

Face à l'insistance de mon interlocuteur je perdis mes dernières parcelles de méfiance et me penchais en avant. Après un long moment d'observation je dus admettre que je ne comprenais toujours pas. Son arme était tranchante, c'était une épée, mais elle n'avait rien à voir avec la mienne, pourtant il faisait les même bruit à chaque fois qu'il les désignait l'une et l'autre.
Je me passais nerveusement la langue sur la truffe, qu'est-ce qu'il pouvait bien vouloir dire…
Passant à encore mes yeux d'une lame à l'autre je cherchais, je fouillais dans mon petit crâne pour trouver la solution à ce problème épineux.

*IL ESSAYE DE TE PARLER ABRUTIE !!! T'AIS-JE DONC CRÉER SI STUPIDE QUE TU SOIS INCAPABLE DE LE COMPRENDRE ?!!*

Le cri me vrilla le crâne et je rentrais la tête dans les épaules, une main sur le crâne. Le bruit résonna encore un moment et je me saisis les oreilles à pleine mains en les tirant sur mon crâne comme pour tenter de me rendre sourde. Mais rien n'y fit et bientôt le grondement rugit à nouveau, faisant vibrer mes os.

*TU ES MA CRÉATURE ! ME CROIS TU ASSEZ BÊTE POUR TE CRÉER IGNORANTE ! TU SAIS COMMENT FAIRE, REVEILLE TOI STUPIDE CRÉATION !*

Un faible couinement m'échappa, chacune des paroles de mon seigneur me donnait l'impression qu'une force phénoménale tentait de m'écraser le crâne. Mes os vibraient au point de menacer de voler en éclats. Ce n'était pas simplement un bruit formidable qui faisait trembler mon corps recroquevillé mais la terreur aussi. Chaque syllabe était un éclair de peur, un élancement de souffrance infini, une explosion de rage formidable que se déversait dans mes veines déjà sur le point de rompre. Mais le pire n'était pas là, je le sentais à travers le pont existant entre lui et moi, il me poussait, il écrasait ma conscience dans mon propre corps. Il voulait me forcer à trouver ce que je ne savais pas.
Je sentais mon esprit qui ployait, il gémissait face à la force formidable qui le malmenait, mon être tout entier souffrait d’élancements terribles et je tremblais. Mon épée toujours devant moi mon bras l'avait cependant abaissée et elle grattait désormais le sol, dessinant des motifs aux angles aussi rudes que mes mouvements étaient désordonnés.
Le grondement revint alors faire vibrer ma gorge, il surgit du plus profond de moi même, gonflant jusqu'à emplir le vide du silence dans sa totalité. Il devint un véritable rugissement en sourdine puis explosa quand j'atteignis ce que mon créateur voulait me faire découvrir. En me créant il avait lié nos esprits, nos âmes, no essences elles même. Ce qu'il savais je le savais aussi, je ne m'en rendait seulement pas encore compte avant qu'il me force à l'admettre. Ce sur quoi je mis la main fut un savoir sans limite sur les mots. J'aurais put apprendre par coeur tous les dictionnaires existants que cela ne m'aurait pas avancé à grand-chose. Mais cela restait inexploitable dans les formes, j'avais le savoir sans savoir l'utiliser. Et le flot d'informations était tel que j'ai cru sentir mon crâne se fendre sous la pression lorsqu'il déferla en moi, se révélant d'un coup dans son intégralité.
Au milieu de tout ce fatras de mots, de synonymes, de syllabes, de genres, de noms et d’adjectifs, au milieu de ce fouillis, un mot surgit au dessus des autres, celui qui devait le mieux convenir à la situation actuelle. Afin de me libérer de l'emprise douloureuse qui m'étreignait l'esprit je me débarrassait de ce mot en l'exprimant le plus fort possible.

Mon arme était tombée au sol sans même que je m'en rende compte, j'étais trop occupée à me tenir le crâne à deux mains en essayant de refréner ma souffrance et c'est en me griffant la crâne que je relevait le museau. Laissant mon grondement exploser je me débarrassais enfin de cette gène au fond de moi.

-AAAAARRRMEEE !!!!!

Haletante, je sentis la présence quitter lentement mon esprit, le laissant terriblement vide après cet épisode. C'est donc pantelante que je tentais de retrouver mes forces dans ce corps meurtris de l'intérieur que mon créateur venait de me léguer, au moins m'ouvrait-il les portes du langage et de la compréhension de l'autre. Enfin, des paroles de l'autre, le reste ce serait pour une prochaine fois…