Une liaison mystérieuse

Et voila, j'étais de nouveau parti sur les routes, pour de longues semaines pensais-je. Cette fois mon objectif n'était plus aussi simple que lors de ma fuite de Vemeï. Bien que la zone neutre ne corresponde pas à mon idéal de tranquillité elle avait au moins cet avantage de ne pas me meurtrir le coeur d'une angoisse constante planant à la manière d'un oiseau de mauvaise augure. Les gens d'ici portaient parfois la main à leurs armes en jaugeant ceux qui s'approchaient ou se faisaient trop remarquer, mais rien qui ne puisse réellement m'indisposer comme au pays de la paranoïa. Non, ce qui m'attirait loin de ce lieu, pourtant bien plus propice à la détente qu'aucun de ceux que j'avais découvert au par avant, c'était la promesse de pouvoir rejoindre ce groupe se faisant appeler les Gardiens. Si ce que j'avais entendu à leur sujet était vrai ce n'étaient ni les gens les plus fréquentables d'Horizon ni les pires, mais au moins me permettraient-ils d'avancer plus facilement dans ma quête, du moins je l'espérais.
J'avais donc demandé à Aïdolerion, le métamorphe m'accompagnant et m'assurant aussi bien de me guider que de m'éloigner de la plupart des dangers que mon incompréhension de la société pouvait me pousser à commettre bien inconsciemment, de partir devant afin de repérer dans les hauteurs des montagnes un col qui nous permettrait de rejoindre le pays des Gardiens sans avoir à repasser par celui des conquérants. Il avait donc prit les devants et je devrais le retrouver le plus rapidement possible en espérant qu'il ait trouvé un col praticable. Bien que je sache les hauteurs de ce monde empreintes d'une froid à fissurer la pierre je ne me couvris pas d'avantage que depuis mon arrivée sur Horizon, au naturel je ne connais guère qu'un élément qui puisse l'emporter sur ma nature pour me meurtrir, et il n'est pas la glace ni le froid.

Mais je n'avais pas passé plus de deux jours dans les bois que je rencontrais déjà une curiosité me poussant à stopper ma route vers les cimes éternelles. Sur mon chemin se trouvait en effet une large place dégagée de tout tronc dressé. Une vingtaine de personnes s'activaient à grands renforts de râles d'effort ou d'ordres claquant aussi bien comme des avertissements que des conseils. Je reconnus là un manège déjà observé chez quelques marchands lorsque eux même et leurs apprentis montaient un stand. L'ébauche de construction, d'une taille respectable pour ce que je savais des normes de ce monde, me confirma qu'il devait s'agir là d'un chantier.

«Bouge de là avant de te prendre un tronc bestiole!»

L'exclamation me fis sursauter et je me décalais vivement d'un pas, pour que ma tempe rencontre de façon toute aussi brutale qu'imprévue la surface dure et rugueuse d'un tronc non écorcé flottant dans les airs à l'horizontal. Tout en me frottant la tête de la main je saisis vaguement un :

«Oh pardon, je croyais que vous étiez l'une de ces saleté que Katz veut recueillir. Je ne vous ai pas fait trop mal j'espère, si ?»

«N-non, je ne crois pas, tout va pour le mieux, il faut seulement que j'attende que le monde se soit trouvé une position stable pour ne plus en changer...»

J'adressais un pauvre sourire à ce qui tenait le tronc, je le voyais maintenant, de sa tentacule mauve. Un immense octopode au corps couvert d'une cuirasse d'écailles sombres sur le dessus, les flancs et le dessous de ses membres laissant place à une peau semblant peu épaisse. Il me dépassait largement d'un bon mètre, et sur l'avant de son corps s'ouvrait un œil large qui me fixait. Cela me troubla légèrement, mais sans plus et je répondis à nouveau d'une voix plus assurée :

«Je vais bien, je vous l'assure, je ne m'attendais juste pas au choc.»

«Vous devriez faire attention, par ici ça bouge tout le temps, vous allez finir en morceaux si vous ne regardez pas autour de vous. Vous venez bien aider pour le chantier vous aussi, quel est vôtre poste?»

Avec une certaine incertitude dans le regard je lui demandais : «Le chantier ?»

Le poulpe poussa ce qui s’apparentait à un soupir, ponctué d'un clapotement étrange dont je préférais ne pas connaître la raison. Il pointa l'une de ses tentacules sur l'origine du vacarme.

«Oh, celui ci, pardonnez moi je n'y pensais plus. Non je ne suis pas venu pour cela, enfin oui et non. J'ai simplement entendu du bruit et je n'ai put m'empêcher de jeter un œil sur la source de ce dérangement en plein milieu des bois… Vous avez besoin d'aide ? De quelle sorte au juste?»

«C'est simple, l'humaine qui s'occupe de tout ça veut réunir un tas de bêtes sauvages ici, elle dit que ce sont des choses adorables et qu'il faut les protéger par tous les moyens. Par mon expérience personnelle je pourrais plutôt développer ça comme le futur lieu de plaisance de quelques montres agiles et pourvus de bien trop de griffes pour que je puisse les apprécier. Je dois déjà avoir plus de marques de dents qu'ils n'en ont pour garnir leur effroyable petit museau.»

«Je crois comprendre que vous ne les appréciez pas particulièrement, quels sont ces monstres?»

L'octopode se renfrogna, pour autant qu'une telle créature le puisse en tout cas c'est l'impression qu'il donna. J'affichais donc l'aimable sourire dont j'avais l'habitude et attendis qu'il me réponde.

«Elle appelle ça des chats, de là où je viens je ne connais rien qui y ressemble, mais je ne regrette pas les pires créatures de ma planète face à eux. Ils sont pires que les nuisibles de mon monde, toujours à courir derrière mes tentacules et à vouloir me mordre ou me griffer. Ils laissent des traces sur mes écailles, tirent dessus comme pour les déchausser, ils me griffent, me mordent, ce sont de véritables horreurs. Si j'en aperçois un en dehors de la zone de sécurité du chantier je jure de l'aplatir et de le clouer au mur de ma chambre d'auberge pour qu'aucun autre n'ai jamais l'idée de revenir me voir.»

Je ne pouvais ni rire du sort de ce malheureux ni de celui qu'il réservait aux dits chats, aussi me contentais-je de hocher vaguement le museau, l'air terriblement sérieux, comme s'il s'agissait là d'une grave question de sécurité. Je pris mon temps, lui barrant toujours le passage, en affichant une mine réfléchie, pour finalement redresser le museau vers le grand iris qui me toisait sans méchanceté mais dans le fond duquel brûlait de la rancoeur.

«Je suppose que vous ne devez pas être le seul à avoir des griefs envers ces créatures si tout ce que vous me dites est vrai. Peut être pourriez vous me présenter à cette fameuse Katz, je suis certaine que nous trouverions un arrangement, afin que vous poursuiviez la construction le plus paisiblement qui soit sans qu'aucun chat ne finisse plat.»

Je lui offris un superbe sourire que j'emplis de bonté, je ne voulais que l'aider. L'oeil se fronça, le corps massif du mollusque bougea étrangement et je décidais d'appeler cela une moue dubitative, puis il étendit l'un de ses tentacules en montrant une petite forme pleine d'énergie qui gesticulait derrière un groupe de travailleurs.

«C'est elle Katz, il n'y a personne d'autre capable de parler et de bouger aussi vite pour ne brasser que de l'air. Si vous pouvez empêcher ses saloperies de venir m'écharper je vous en serait très reconnaissant, maintenant excusez moi mais je dois me dépêcher, sinon elle va me tomber sur le râble dès que je serait arrivé.»

Sur ce, il fila sans demander son reste, sur l'extrémité recourbée de ses tentacules. Je le regardais partir, puis reportais mon regard sur l'endroit où se trouvait la dénommée Katz quelques instants plus tôt, haranguant ses ouvriers. Seulement elle n'était plus là, et je soupirais en comprenant qu'il me faudrait la chercher au milieu des murs à demi construits et des échafaudages. Me rapprochant sans trop me presser j'en profitais pour englober la structure d'un regard, puis en détailler certains points à mesure que la distance entre le bâtiment et moi même s'écourtait. Je remarquais qu'un grand nombre de morphologies différentes occupaient divers postes, travaillant de concert sans que cela semble entraver la bonne marche du projet naissant. À l'exception de Katz elle même, qui semblait la plus perdue, ou plutôt la moins attentionnée car elle me percuta de plein fouet et recula d'un pas, enfonçant l'une de ses bottes dans un seau de peinture. Avec un grognement rageur elle la retira vivement, s'envoyant une grande éclaboussure dans la figure ainsi que sur le peintre, lequel cherchait désormais le point de chute de son seau en espérant qu'il ne tue personne au passage.
Un index vindicatif brandit devant mon museau, elle commença une rafale de mots si proches les uns des autres que je crus un moment qu'elle parlait une langue différente de celle semblant commune à tous les êtres de ce monde. Mais en me concentrant je remarquais quelques bribes de langage commun et hésitais entre le soulagement et l'étonnement. Il était en effet bien étonnant pour moi de découvrir quelqu'un dont la langue était si précipitée que personne ne devait la comprendre. Je lui souris alors gentiment, ne pouvant guère faire mieux, ce qui sembla mener Katz au comble de sa fureur. Elle se tourna vers la personne la plus proche en lui hurlant dessus un très courtois «QU'EST-CE QUE C'EST QUE ÇA?!!». Bien que ce soit un grave manquement aux règles élémentaires de politesse je choisis de ne pas rétorquer une réplique cinglante et répondis à la place du pauvre homme qui écarquillais les yeux sans trouver de réponse.

«De toute évidence c'est une truffe, et même sans évidence je puis vous l'assurer, je la connais depuis un moment et elle n'a jamais voulu être autre chose.»

Je souris tranquillement, un petit pétillement dans les yeux tandis que l'humaine se retournait pour me faire face, incrédule. Elle n'avait apparemment pas saisit ma réponse, mais je fis comme si c'était le cas et poursuivis.

«J'ai rencontré l'un de vos employé dans la verdure environnante. Il m'a laissé entendre que vous auriez besoin d'une aide pour vôtre projet. Je viens donc me proposer, il paraît que vous voulez recueillir des chats. Sont-elles vraiment les redoutables créatures qui m'ont été décrites?»

A l'énonciation du terme «chat» le visage de Katz s'illumina. Toute trace de colère fébrile envolée elle m'enserra la nuque -plus qu'elle ne l'entoura- d'un bras fin mais où la robustesse ne manquait pas. Dans cette étreinte imprévue elle m'entraîna alors d'un pas gaillard dans les couloirs naissants, bousculant par moment un individu sans y prêter attention. Elle avait alors recommencé à parler, déblatérant presque sans interruption une sorte de laïus sur la gente féline qu'elle comptait bien entretenir dans son grand manoir.
Je repensais rapidement au pauvre octopode qui semblait haïr si fort ces bêtes que je doutais qu'il ne tourne pas de son œil unique s'il venait à subir ce bavardage. Pour ma part je ne savais à quoi m'en tenir pour l'instant, et c'est avec calme que j'accueillais le débordement de joie de l'humaine. Pour peu que je sois parvenue à comprendre tout ce qu'elle disait j'aurais certainement connu jusqu'au réseau de plomberie de son futur havre de paix félin, mais son débit était semblable à un fleuve en crue, trop de mots tentaient de passer une si petite bouche tous en même temps.
Enfin nous parvînmes toutes deux à une petite esplanade. De petits buissons formaient des bosquets ça et là, taisant aux regards curieux ce qui pouvait bien se passait derrière leur murs verdoyants. De grands arbres à l'écorce crevassée déployaient des branches robustes et garnies de feuilles, offrant à la vue un spectacle de force végétal que j'appréciais énormément.

«Il manque encore beaucoup de choses, je voudrais que nous placions des points d'eau d'allure naturelle mais qui ne le soient pas vraiment. Tous n'ont pas les mêmes besoins et j'entends bien les contrôler de façon à ce que chaque race vive ici au mieux. Je compte aussi installer un toit de verre et demander à un ingénieur de prévoir de quoi réguler la température. Pour le moment le temps est au beau fixe mais il est hors de question de se tenir à la merci des intempéries. Pour ce qui est de la nourriture j'ai tout prévu, ce ne sera certainement pas facile de garder un approvisionnement constant mais les réserves sont la première chose dont je me suis préoccupée. Mon père disait toujours qu'il faut s'assurer d'avoir chez soi de quoi endiguer deux mois de blocus pour ne pas se laisser surprendre et finir sur le carreau.»

Je la coupais avant qu'elle ne poursuive. «C'est un superbe domaine que vous vous préparez là. Mais je crains de me montrer un peu pressante en vous demandant s'il me serait maintenant possible de rencontrer vos protégés. Je ne crois pas en avoir aperçu aucun jusqu'ici… Et même si vous me les avez fidèlement décrit il me semble tous si différents d'une race à l'autre que je préfère ne m'avancer en rien, mon imagination a tendance à se montrer féconde.»

«Oh mais c'est très simple, regardez autour de vous, c'est le coin de paradis que je prépare pour qu'ils puissent presque tous se retrouver ici, les autres pièces seront plus ou moins accessibles. Tenez, là vous en avez deux, là bas un seul, lui c'est un cas particulier, un chat fantôme. Je ne savais même pas que c'était possible, mais depuis que je suis ici je ne me soucie plus de la logique, je me fie à ce que je vois et je fais avec en essayant de ne pas terminer folle. Tenez, ça fait une semaine que mon petit copain est en montagne, un jour il va me revenir borgne cet andouille, il chasse un superbe chat dragon que nous avons rencontré en venant ici. C'est une bête superbe, mais assez massive et plutôt dangereuse. Mon but n'est pas d'en faire une attraction, seulement les aventuriers se promènent partout en clamant qu'ils butent des monstres, il ne faudra pas longtemps pour que la tête de ce minou en armure d'écailles finisse accrochée à un mur si je ne m'en préoccupe pas.»

Comme pour lui donner raison un grondement venu du fond des âges fit trembler l'air et sautiller les gravillons sur le sol. Il y avait de la sauvagerie dans ce son, quelque chose de primaire et de puissant qui m'électrisa et je relevais instinctivement le museau, comme si je pouvais ainsi le faire passer par dessus le haut mur m'empêchant de voir plus que la pointe du mont le plus proche.

«Ah, ça c'est la bestiole, tonique l'animal ! Mais bon, on l'aura, et je ferai en sorte qu'il soit bien ici, même si je dois filer une rouste à tous ces incapables pour qu'ils terminent rapidement sa salle. Je ne pense pas qu'un truc pareil puisse se promener en toute liberté. Bref, si vous voulez m'aider avec les chats comme vous avez dit, restez donc là et assurez-vous qu'il ne leur arrive rien, sinon je ferai un griffoir avec vôtre fourrure, compris, cool, aller assure truffe bleue.»

Et avant que j'ai put dire quoi que ce soit elle repartait d'un pas vif, laissant dans son sillage des ordres et des bousculades. Je restais donc là, les bras un peu ballants, une main crispée serrant mon bâton car je ne savais trop quoi faire. De ce que j'avais compris ces animaux avaient des besoins normaux pour des êtres organiques, manger, boire, respirer. Mais de là à ce que je puisse en prendre soin il y avait comme un fossé sur le fond duquel mon esprit louchait, affichant clairement sa réticence à tenter le saut de l'ange. Toutefois, je n'avais pas vraiment le choix, et je m'étais moi même jetée dans le piège en me proposant. Il était hors de question que je ne tente pas de mener ma tâche à bien, aussi je commençais par faire le tour de ce petit parc intérieur.
L'espace était grand, il y avait de quoi pour un village entier entre les murs. La végétation abondait, des pierres placées en éboulis formaient de petits tunnels tout en offrant des points de repos ensoleillés sur lesquelles des créatures que je décidais de nommer chats se prélassaient sans prêter attention à ma présence. Une petite rivière glougloutait doucement depuis une falaise factice enfoncée dans une encoche de la muraille, elle courait et se divisait peu à peu en filets d'eau qui formaient alors de minuscules marigots clairs.
J'appréciais le calme de l'endroit. Bien des créatures croisaient mon chemin. Certaines allaient sans un regard pour moi, d'autres me scrutaient depuis leur perchoir ou les ombres d'une cachette, une ou deux passèrent regarder ce qui dispensait l'odeur inconnue leur chatouillant la truffe, mais nul part je ne trouvait les signes d'une agressivité telle que l'octopode me l'avait dépeinte. Je réfléchissais alors à la possibilité qu'il ne soit simplement pas fait pour s'entendre avec ces animaux, tout comme certaines personnes se détestent d'un regard peut être ne pouvait-il s'approcher de ces chats sans qu'ils ne veuillent l'écharper.
C'est presque sans le voir que je passais à côté de l'un de ces êtres parsemant la propriété, mais quelque chose m'empêcha d'aller plus loin et je me stoppais, tournant doucement le museau vers la source de ma curiosité. Sur un petit socle au sommet d'un pilier de présentation se trouvait un chat, sauf qu'il n'avait de chat qu'une apparence plutôt indéfinissable. Sa queue ressemblait à de la fumée, en bougeant elle rappelait les volutes qui s'élèvent d'une bonne flambée. Son dos semblait lui aussi fait de fumée, mais plus compacte, comme un liquide sur le point de s'évaporer, et dans ces eaux troubles nageaient des couleurs hasardeuses, changeantes. Un habit lui couvrait la moitié du corps, ne laissant à la place de sa tête qu'un capuchon plein d'obscurité dans lequel se distinguaient les contours de deux yeux et d'une bouche, en lignes lumineuses d'un blanc éclatant.
Autant dire que, même au milieu de la variété de chats que j'avais pu voir, il avait plus qu'un petit détail particulier. Mais ce qui m'avais arrêté n'était pas son aspect. Je pouvais sans problème croiser un être aussi étrange et ne pas lui prêter plus d'attention qu'aux autres si aucune raison ne me le demandait. Je ressentais en revanche un fort lien avec la magie dans ce qui aurait n'être qu'une boule de fourrure, et cela m'intriguais. L'être dût sentir que je l'observait car il finit par tourner la tête et me dévisagea des grandes formes d'un blanc éclatant qui étaient ses yeux. Je trouvais cela à la fois atypique et quelque peu dérangeant bien que, en y repensant, ce ne soit pas la première fois que j'observe un tel phénomène.

«J'ai quelque chose sur la truffe ?»

La voix me surpris, je n'avais pas imaginé qu'il sache parler, j'aurai pourtant dû m'y attendre, rien n'est impossible à qui est assez lié aux arcanes. Cependant, l'ironisme acide dans la voix du chat me ramena rapidement sur la terre ferme et je lui offris un large sourire.

«Pas du tout, mais je trouve que tu as un aspect bien particulier et je n'ai pas pu m'empêcher de te contempler. J'espère que tu ne m'en veux pas trop, j'admets que j'ai manqué de politesse.»

Il m'était impossible de savoir si ses yeux se déplaçaient sur mon corps car l'absence de pupilles ne permettait pas de suivre leurs mouvements, toutefois la tête du chat ne bougea pas. Après un moment passé à attendre sa réponse il se contenta finalement de m'ignorer en tournant la tête pour regarder ailleurs. Légèrement piquée mais suffisamment pour manquer une fois de plus de politesse je lui dis doucement.

«Je constate toutefois que je ne suis pas la seule à souffrir de ce genre de manquements. Peut être pourrions nous essayer de nous montrer polis l'un envers l'autre afin d'engager la discussion, j'aimerai bien en savoir un peu plus sur toi. Sa queue se mut sèchement de droite à gauche. Les gens ont pour coutume de m'appeler Demi-Coeur, car on dit que je n'ai que la moitié d'un coeur mortel et que l'autre s'en éloigne trop pour être considérée. Je suppose que tu ne trouveras pas exceptionnel que je vienne d'un autre monde. Sur le mien il y a des êtres un peu comme toi, question morphologie, car pour ce qui est de la physiologie tu dénotes beaucoup. Mais ce qui m'intéresse le plus c'est que je sens un contact entre toi et d'autres forces, cela m'intrigue. Je connais très bien la magie, de toute évidence toi aussi étant donné le contact que tu entretiens avec elle, je peux presque la voir rayonner autour de toi.»

«Je déteste la magie!»

Voilà qui avait me mérite d'être clair, mais je ne me démontais pas. Le chat avait clairement exprimé son agacement à son mouvement de queue précédent, cependant il n'avait pas recommencé depuis, je jugeais donc pouvoir poursuivre, quelque chose devait l'avoir intéressé chez moi aussi et je jouerai de cela si je parvenais à savoir quoi.

«Je dirais bien que c'est dommage mais comme je ne sais pas pourquoi je ne peux que me contenter de demander pourquoi. C'est une force puissante et suffisamment polyvalente pour mener au bien de tous, comment peux-tu la détester?»

Un long silence suivit, plusieurs secondes creuses durant lesquelles une certaine gêne s'installa. Puis il répondit sans me regarder, la tête tournée vers un bras de la petite rivière qui passait à côté de son support.

«Quand tu seras partit tu m'oublieras, immanquablement. C'est comme ça il ne faut pas chercher pourquoi, la magie a décidé que personne ne pourrait jamais se souvenir de moi, sitôt que l'on me quitte, il ne faut que quelques jours pour oublier jusqu'à mon existence. Je ne sais moi même ni d'où je viens ni ce que je suis et je ne l'apprendrai probablement jamais. Je hais la magie, elle n'a jamais sut m'apporter quoi que ce soit de bon, même mon corps ne ressemble à rien, alors de toute façon, qui voudrait s'en rappeler.»

Je remuais doucement la truffe, posant la pointe de mon bâton contre le sol, la mine pensive. Je sentais bien le désespoir dans sa voix mais quelque chose me troublait, le fait qu'il ne faille pas chercher le pourquoi d'un problème magique. Les forces primaires empruntent souvent des chemins qu'elles sont les seules à connaître, mais je ne mets jamais longtemps à les trouver aussi. Je pouvais donc peut-être faire quelque chose pour lui.

«Je suppose que tu apprécierais que cela change. Alors dis moi, si je pouvais changer quelque chose à cela, accepterais-tu de m'en dire un peu plus sur toi ? Car j'ai tout de même du mal à réaliser ce dont tu me parles, cette amnésie subite.»

«C'est simple, plus on me côtoie, plus on en apprend sur moi. Mais dès que je ne suis plus présent physiquement il ne faut guère qu'un jour pour que je ne sois qu'un vague souvenir diffus. Quelques heures plus tard c'est comme si je n'avais jamais existé, et c'est ainsi pour tous. J'ai passé beaucoup de temps à comprendre comment cette magie fonctionne, mais je n'en sais finalement pas grand-chose. Ce qui reste le plus longtemps c'est ce que l'esprit a trouvé marquant, mais longtemps est finalement bien peu lorsque l'on parle en heures.»

Je jetais un regard aux alentours, n'oubliant pas malgré cette discussion intéressante que je m'étais engagée à veiller sur le bien être des petits animaux de Katz. Rien de dangereux ne semblait les menacer. Des petits jouaient à l'entrée d'un tunnel qui se perdait rapidement dans la pénombre des rocailles le composant. Un adulte les observais de loin, depuis le faîte de l'empilement. Un chat marin bondissait hors de l'eau pour en éclabousser un autre. Bref, l'endroit était paisible et rien ne semblait vouloir changer cela. Je reportais donc mon attention sur celui qui m'intriguait le plus.

«C'est quelque chose d'ennuyeux en effet. Je connais ce problème, pas de la même façon que toi car il a fallut plus de temps pour qu'il me saisisse. Du monde d'où je viens je ne suis plus qu'un mythe que l'on raconte aux petites et que les plus érudits étudient avec grand soin, retraçant l'histoire de ma terre natale. Je suis connue sous le pseudonyme de Demi-Coeur, il semblerait que mon nom véritable n'ait survécu que dans l'esprit de mes frères. J'ai pourtant beaucoup oeuvré pour ma terre, mais j'ai aussi pêché de la pire façon, et l'exil me marque, comme pour toi il n'y a plus rien à comprendre, c'est ainsi et je ne peux le changer, mais je l'ai moi même choisit. Tu vois, nous ne sommes pas si différents, à ceci près que j'ai choisis mon sort et que je sais d'où je viens. Si ma présence ne te dérange pas trop, je pourrais rester à tes côtés, ainsi tu aurais quelqu'un qui se rappellerait.»

«Ils disent tous ça… Avec plus ou moins d'emphase, mais ça ne change jamais, un jour je suis ennuyeux et ils partent. Avant d'avoir put regretter ils m'ont oublié, tu ne changeras rien, même Katz ne sait pas qui je suis.»

Je ne pus m'empêcher de rire doucement. «A sa décharge, tu admettras que tu ne l'aide pas beaucoup, j'ai depuis le début de notre conversation l'impression que tes mots cherchent à me dissoudre tant tu as le verbe acide. Ce qui est bien dommage, car tu ne me connais pas et tu ne sais toi non plus rien de moi, rien que ce que je t'ai dis, ce qui revient finalement au néant, car j'ai longuement vécu. Crois-tu que, parce que le passé t'a déçu, je sois forcément l'une des personnes que tu as connu ?» Je poursuivis d'un ton plus doux, pour ne pas lui donner l'impression de le rabrouer. «Je suis Sandra Geryon, première née de la première race, fille des Etoiles et du Temps. J'ai vu passer plus d'années et de gens que ceux de cette terre ne peuvent l'imaginer, mais j'ai tâché de ne jamais faillir à mon devoir, même lorsqu'il ne fut pas plaisant. Je me montre présomptueuse, mais je doute que tu ais déjà rencontré une Sandra Geryon possédant mon passée, je doute encore plus que tu en ais connu une de ma trempe, alors peut-être pourrais-tu reconsidérer ton exagération sur le fait que tu sois condamné à ne jamais trouver quelqu'un désirant se souvenir de toi. Mais je ne veux pas te presser, il ne ressort rien de bon de la contrainte. Pense.»

Je lui souris gentiment puis me retournais, repartant sur le petit sentier bordé de verdure tout en regardant les félins profitant du large disque d'or dans le ciel, ses rayons venant réchauffer la fourrure des plus paresseux, étendus un peu partout dans le parc intérieur.
Les heures passèrent lentement, comme toujours, sans trop se presser ni amener un événement malencontreux qui aurait poussé vers l'ailleurs le bien être paisible de cet endroit. J'en profitais moi même comme d'une bénédiction. L'azur des cieux déversait un flot de lumière douce sur ma fourrure, mon armure et les alentours, baignant le petit parc verdoyant d'une sorte de béatitude maladive qu'il était impossible d'esquiver. Je m'étais assise sur une souche, le fût tranché étant tombé derrière. Le dos contre le bois, je me reposais en savourant le calme, les bruits alentours, l'air frais de la montagne qui apportait juste ce qu'il fallait pour que la chaleur n'importune pas. Près de moi quelques chats allaient et venaient. Il ne leur avait pas fallut longtemps pour décider que j'appartenais à leur communauté. Une main sur l'un d'entre eux, un autre roulé en boule sur l'une de mes épaules, un me coulant d'entre les oreilles comme une guimauve ramollie par le soleil. J'avais sur moi plusieurs de ces adorables petits parasites, de toutes les couleurs et avec des morphologies assez variées.
C'est lorsque le soleil commença à chuter plus bas que les cimes que je rouvris les yeux. Il faisait maintenant plus sombre, des êtres ne possédant pas ma vision souffriraient du manque de lumière, mais moi je me contentais de trouver à l'obscurité une sérénité engageante. Jusqu'à ce que Katz arrive comme un ouragan, tempêtant et soulevant de petits nuages du peu de poussière sur les sentiers gazonneux. Je l'observais arriver en me demandant ce qui pouvait bien la tisonner du fond de son être pour lui instiller cette colère constante. Elle avait l'air d'un feu de forêt qui se retient, prêt à dévorer tout un hectare dans une saute d'humeur et de ne laisser que les cendres des cendres derrière lui. En s'arrêtant devant moi, poings sur les hanches, elle me transperça d'un regard vif et franc. Son sourire en coin laissait penser qu'elle était satisfaite, mais ne sachant pas de quoi et ne connaissant pas assez le personnage je me retins de spéculer.

«Hé bin bestiole ! Tu t'es faite des copains ! Tu vois pourquoi je veux aider les chats, ce sont des trucs trognons et super attachants ! Des centres comme celui ci je vais en ouvrir partout dans Horizon, crois moi, même Infinity finira par avoir un chat, si il existe, peut être même que c'EST un chat. Ouais, ouais ça me plaît bien comme idée !  Bref ! J'ai fais le tour du domaine, semblerait que t'ais un bon feeling avec les bestioles, boule de poils ! Si tu n'y vois pas d'objections tu vas rester ici et t'occuper de cette partie du bâtiment, comme ça tout continuera de bien se passer ! Sinon je te botte le cul direction ton monde d'origine de toute façon ! Pas de non, très bien, aller à demain !»

«Hrm, permettez moi de répondre. Je ne vais pas pouvoir rester ici, on m'attend déjà ailleurs et je vous ai donné un temps précieux en m'arrêtant ici. La pause était plaisante mais il faut maintenant que je reprenne la route, et je suis navrée mais cela se fera même si vous y trouvez un inconvénient.»

«Un peu qu'j'en trouve ! Déjà il fait nuit ! Enfin presque. Hors de question que je te laisse sortir congeler en vingt mètres ! En plus tu m'as aidé ! J'ai mon caractère je l'sais mais ça ne veut pas dire que je ne récompense pas les gens comme il faut ! Bon, tu veux quoi la bestiole ?! Fait vite parce que j'ai la dalle et que la bouffe va bientôt être prête!»

Je déplaçais doucement les quelques chats que les exclamations de Katz n'avaient pas encore fait fuir et me redressais en lissant les plis de ma robe là où l'armure ne la recouvrait pas.

«Je ne voudrais pas grand-chose, de quoi me payer un repas et une nuit dans une auberge, ce sera déjà plus que ce que j'ai possédé depuis que je suis arrivée ici.»

«Hé bha, tu vas pas me coûter un bras toi, c'est déjà ça ! Aller viens, je vais te filer de quoi manger avant que tu partes et un peu d'argent, t'es quand même pas bien chiante alors j'voudrais pas que tu gardes une mauvaise image!»

Quelques minutes plus tard j'avais avalé mon bouillon de légumes dans lequel nageaient quelques morceaux de viande. Il n'était pas copieux mais permettait tout de même de se sustenter correctement et j'appréciais le fait de savoir que la forêt seule était à l'origine de ces ressources. Sur le point de partir, je saluais une dernière fois Katz et m'apprêtais à sortir lorsque le petit chat aperçut un peu plus tôt dans la journée arriva. Je me souvenais de lui, je savais que nous avions dû avoir un échange, mais plus du sujet. C'était une sensation étrange pour moi, que de ne pouvoir me souvenir de quelque chose ayant eut lieu seulement quelques heures au par avant.

«Tu m'as dit bien vouloir de moi pour ne pas m'oublier quand tu partiras, je veux partir avec toi.»

Je regardais alors Katz, qui observait le petit chat avec de la curiosité dans le regard, elle aussi faisait certainement face au manque de souvenirs à son propos. Pour ma part je ne pouvais me rappeler la conversation que j'avais tenu avec lui en détails mais je me souvenais au moins qu'il disait vrai. J'avais dû lui proposer de joindre sa route à la mienne et comme Katz hocha la tête, je souris en retour au petit félin d'apparence si atypique.

«Si tu es fatigué je te porterai, allons-y maintenant.»

Je repris donc ma route dans le noir profond de la nuit que quelques rayons d'argent transperçaient, un petit chat ressemblant plus à un fantôme ou un démon qu'un véritable félin sur mes pas.