Je marche tranquillement dans les bois, profitant du vent sur mon visage, des odeurs sylvestres qui m'entourent. Je me repais des sons autour de moi, du moindre bruit – que ce soit celui des feuilles dansant au gré de la brise ou celui les brindilles croustillant sous les pas des divers animaux qui gambadent.

Je repense à mon manoir, à mon chien, à Diane et Genji... Je me souviens du sourire chaleureux de Diane, les yeux pétillants de Genji devant une tarte. Je peux revoir cet enfant m'aduler. Que va-t-il devenir maintenant ? S'en sortira-t-il ? Continuera-t-il à voir Diane ? Ne va-t-elle pas se retrouver seule ? Ils me manquent... Tellement... J'aimerais les revoir... Mais est-ce que c'est juste possible ?

Je ris amèrement à mes interrogations en m'insultant d'idiote avant de soupirer en arrêtant mes pas et en murmurant:

- Même si je pouvais y retourner, plus rien ne m'y attends... Je n'ai plus d'avenir là-bas...

Je laisse mes larmes couler. J'ai besoin de décompresser. Et comme je n'ai ni ordinateur, ni télé, ni Mont Blanc, ni squelette à monter... Je pleure. Je m'agenouille au sol, comme lorsque j'étais enfant, cachée sous ma couette. Je pensais pleurer quelques minutes quand j'ai décidé de laisser ma tristesse couler. Elle me prend au ventre, embrume mon esprit. J'attrape ma chemise de ma main droite, serrant le tissu dans mon poing. Mon cœur me fait mal, mon estomac se contracte. Je vais vomir... Telle la gamine que je refuse d'être, je pleure. Encore... Et encore. Lorsque ma bouche s'ouvre, c'est pour tenter de crier. Mais rien ne sort. Un cri silencieux, déformant mon visage. Je finis par me calmer. Les larmes s'amenuisent et cessent. De toute façon, j'ai tellement évacué qu'il n'y a plus d'eau pour constituer mes larmes. Je passe ma manche de chemise sur mes yeux et inspire. Profondément. Comme si j'essayais inconsciemment de faire exploser mes poumons. Une inspiration. J'expire lentement. Une fois, deux fois, trois fois. Je secoue la tête rapidement avant de reprends ma marche.

Après une bonne partie de la journée à errer sans réel but dans cette immense forêt, je finis par tomber sur une grand-mère, à genoux, qui ramasse des végétaux au sol. Je m'approche d'elle et l'aborde, gentiment :

- Bonjour Madame, puis-je vous aider ?

La femme devant moi relève la tête et me regarde avant de me faire un grand soucire. Elle me propose de porter son panier plein de plantes jusqu'à chez elle. Attrapant la grande corbeille par la hanse de cette dernière, je pose une main sur son dos lorsqu'elle se relève. Lui souriant, je garde ma main posée sur sa onzième dorsale le temps qu'elle finisse de retrouver une posture de marche. Je l'ai accompagné en parlant de météo, de cuisine, de plantes.


Arrivant devant sa chaumière, j'observe le paysage un instant avant d'entrer dans la demeure. Dans une clairière, non loin d'un léger court d'eau et d'un chemin, cette dame âgée a un très bon goût. J'observe deux oiseaux – de loin je dirais des passereaux – sur le toit en chaume, l'un faisant une toilette, le second chantant. J'observe, au loin, une famille de cervidés mangeant tranquillement, leur bambins courant librement. Je souris, assez fascinée par le tableau qui se dresse devant moi. La chaumière laisse passer de la fumée par l'unique cheminée et, me rapprochant, j'observe le potager bien entretenu de la vieille dame. Les rayons du soleil couchant éclaire la scène doucement, me rappelant la chaleur maternelle.

Elle est sur le seuil de sa porte, me regardant avec un sourire satisfait, plein de gentillesse. Je sors de ma léthargie contemplatrice et la rejoins rapidement.

- Pardonnez-moi, je n'ai pas l'habitude de voir d'aussi belles choses...

- Ce n'est rien jeune fille, vous prendrez bien un thé ?

Ça fait quelques années que personne ne m'avait appelé « jeune fille ».  Lui rendant son sourire, j'accepte avec plaisir. Un thé... Le dernier que j'ai pris date d'avant mon arrivée. Cela me manquait.

Je pose le panier sur la table du salon. La pièce est plus grande que ce qu'il n'y paraît. À ma droite, dans un bois sombre et probablement lourd, je regarde les sculptures du garde-manger. Il y a des lettres que je ne connais pas, des dessins représentants des animaux qui me sont inconnus également. Enfin, je suppose que ce sont des animaux. Le parquet, bien qu'irrégulier, est en bois et relativement bien entretenu. J'observe les murs de pierre, inégaux, les poutres au plafond, visibles et massives. Je regarde les meubles tous taillés et/ou construits grâce à ce même bois foncé. À ma gauche, un meuble de cuisine. Le plan de travail est bien conservé, utilisé tous les jours, comme en témoigne les coupures fraîches ou les plus anciennes.

Il y a deux portes au fond du salon. Je vais supposer que l'une d'elles est une chambre. La seconde est, probablement, une salle de bain. J'observe encore quelques secondes la pièce et inspire, laissant l'odeur de bois et de nourriture m'envahir.

Je m'approche de l'ancienne.

- Désirez-vous de l'aide ?

La vieille dame sourit toujours. Elle refuse poliment et m'enjoins à m’asseoir, prétextant que le thé allait bientôt être prêt. Ne voulant pas la contrarier, je l'écoute et me pose sur une chaise, observant les gestes de l'ancienne. Elle finit par s'installer après nous avoir servi le liquide presque translucide fumant. Je pose une main sur la tasse et profite de la chaleur du breuvage. Je la remercie et porte le contenant à ma bouche, souffle un peu pour éviter de me brûler et avale une petite gorgée.

- Hum... Fruité sans être trop sucré, il est excellent Madame.

- Je vous remercie jeune fille.

Elle regarde mon visage et sourit un peu plus.

- Vous venez d'arriver non ?

La question me surprend. Comme l'a-t-elle su ? Cela se voit tant que ça ?

-C'est exacte. Je suis arrivée il y a quelques jours et je suis à la recherche d'une bibliothèque.

- Une bibliothèque ? Il doit en y avoir une Yaga. C'est la plus grande ville des environs. Si vous continuez vers le Sud-Est, vous ne pourrez pas la louper.

Je la remercie beaucoup pour ces informations, pensant que Xenosia ne s'était pas trompée. Après tout, ce n'était pas un manque de fiabilité, c'était une confirmation. Il faudra que je lui parle de cette ville quand je l'aurais vu. J'aborde divers sujets avec la vieille dame. Elle m'apprend qu'on l'appelle Mamie Champi' parce qu'elle adore les champignons, ne se nourrissant quasiment que de cela. Elle me propose de rester cette nuit, avançant que la forêt est dangereuse la nuit et que je pourrais partir demain. Je la remercie une nouvelle fois, lui demandant si je pouvais faire quelque chose pour l'aider. Je la laisse réfléchir un instant, dégustant son thé.

- Je n'ai plus toute ma fougue d’antan. Il me manque quelque champignons pour faire une tarte. Si vous avez le temps, pourriez-vous aller m'en chercher ? Si vous en trouvez le matin, nous pourrions manger ensemble et cela vous laisse l'après-midi pour avancer dans votre voyage. Qu'en dites-vous ?

J'y réfléchis quelques instants avant d'accepter. Elle va me loger et me nourrir, je peux aller lui chercher des plantes, j'en suis capable. Elle me remercie et me montre divers végétaux toxiques, pour me prévenir des dangers. Elle me parle aussi des sangliers qui sont dans la forêt. Elle m'explique que, dans l'absolu, je ne devrais pas en rencontrer mais m'en parle quand même. Le fameux « Cas-où ». Je l'écoute, retenant les odeurs, formes et couleurs des mauvaises plantes. Elle me parle surtout de trois variétés. Elle m'explique que les autres sont soient comestibles, soient utilisés pour les jeunes drogués. Ces derniers ne sont pas spécialement dangereux mais provoquent des illusions, des visions.


Depuis combien de temps n'ai-je pas consommé de substances illicites ? Je me souviens de mon dernier joint, dans ma chambre, avec mon ancien amant. J'avais pris du plaisir avec cette cigarette magique.

Le repas se passe dans une ambiance sympathique et je vais me coucher en même temps que Mamie Champi'.

Le lendemain matin, le soleil passant au travers de la vitre du salon me réveille lentement. M'étirant en me relevant, je lâche un petit soupir, ravie d'avoir dormi plus confortablement que la nuit précédente. Réchauffant de l'eau, je prépare un thé pour ma gentille hôtesse. Elle se lève quelques minutes plus tard, s'étonnant quelques peu de me voir debout avant elle. Nous nous saluons et prenons notre thé matinal ensemble en discutant de la pluie et du beau temps. Je finis par la saluer en lui empruntant un panier, partant à la recherche des végétaux.

Après ce que j'estime être un peu moins d'une heure de marche, j'arrive dans la forêt qu'elle m'a indiquée. Je sifflote doucement en cherchant les plantes. Je reste accroupie un certain temps, en ramassant par-ci par-là quelques champignons.

Je finis par en trouver quelques près d'un bosquet et les cueille. Je regarde mon panier, déjà assez rempli et décide de me faire griller quelques plantes pour déjeuner. Je remplirais le panier avant de rentrer. Comme ça, elle pourra faire sa tarte. Et si je rentre en milieu d'après-midi, je pourrais marcher un moment avant la nuit.

Le feu près, chantonnant, je profite du crépitement de certains champignons. Le premier que je goûte, bleu foncé, n'a pas d'odeur spécifique. Mes dents croquant dans le chapeau laisse le jus de la plante sortir. C'est savoureux, doux. Je profite de mon repas, appréciant la chaleur de la nourriture. Je goûte divers champignons, certains sont plus fruités que ce à quoi je m'attendais, d'autres sont plutôt piquants. Mais dans l'ensemble, tous sont comestibles, bons et je me sens rassasiée à la fin du repas.

Sur le chemin du retour, je sens mon esprit s'embrumer. Un peu comme un trop plein d'alcool. Je sens mes membres s'engourdirent, je m'entends chanter. Depuis combien de temps n'ai-je pas poussé la chansonnette ? Des années. Pas forcément une dizaine mais au moins six.
Je me surprends à rire d'un lapin qui loupe un saut, à bloquer sur le bleu du ciel, à sentir les fleurs.



J'en ris. Fort. Je continue de rire, m'allongeant dans l'herbe par manque de tonus dans mes jambes. Les larmes coulent sur mes joues, je sens mes mains trembler. Et je ris. Encore, et encore, et encore...

Je ne sais pas combien de temps je suis restée allongée à rire, à chanter, à profiter. Je ne sais pas combien de temps s'est écoulée lorsque je prends conscience que je n'observe plus un ciel d'après-midi mais une nuit étoilée. Je me relève et ris doucement, comme lorsque j'étais partie au festival de ma ville sans le consentement de mes parents. Je m'inquiète de la réaction de Mamie Champi, et juge que je n'en ai cure. Avant de paniquer et de courir.

Mes réactions deviennent de plus en plus aléatoires. Je ris, je pleure, je tremble, je veux mourir et la seconde d'après, je veux tuer. J'ai l'impression de devenir folle. Mais ce n'est en rien douloureux. Comme si j'avais toujours réagi comme ça. Comme si la scientifique en moi s'était endormie sans vouloir se réveiller...

Alors je marche. Je sais que je tangue, je tombe plusieurs fois, je m'arrache la paume des mains, je cours après un lapin. Et je me reprends. Je me remets à marcher...

Le soleil se lève. Je suis en sueurs, j'ai mal partout. Mes mains saignent, mon pantalon est couvert de boue, ma chemise blanche est devenue verte. Mes cheveux sont emmêlés avec des fleurs entre deux nattes dont j'ignorais l'existence. Les chaussures sont sales également.
J'observe la chaumière un instant, baissant la tête, prenant conscience de tout ce que j'ai fait. Et la honte m'envahit.

Je suis une femme de science, ce n'est pas dans mon caractère ou mes habitudes de réagir ainsi...
J'attends, patiemment, que mon état redevienne normal. Comment vais-je pouvoir expliquer cela à mon hôtesse ? J'espère qu'elle ne s'est pas trop inquiétée.

– Bonjour...

Ma voix est basse lorsque je pousse la porte. J'espère que je ne la réveillerais pas... Si elle dort encore ceci dit...

Je m'avance dans le salon pour poser le panier sur la table. Je m'assois quelques instants sur la chaise et profite d'être seule pour faire un point. J'inspire profondément, expire tout l'air de mes poumons et prépare le thé.

La porte de la chambre s'ouvre et j'observe la vieille dame, un gilet sur les épaules, toussotant. Dès que je vois son état, je m'approche d'elle rapidement.

– Madame ! Vous allez bien ? Laissez-moi vous aider.

J'aide la pauvre dame à s'asseoir et lui fait son thé. Elle me remercie.

- Ça va aller ma petite. Et vous? Que vous-êtes arrivé ?

Je rougis et baise la tête et lui raconte mes mésaventures, ma voix se baissant un peu plus. Je finis par conclure que ce n'est pas important et lui demande si je peux observer son torse, annonçant que j'ai des connaissances en médecine. Mal en point, l'ancienne se laisse faire. Je l'amène à son lit, et, lui retirant son gilet, je pose mon oreille au niveau de son torse.

Son cœur bat de façon irrégulière. Je n'aime pas ça... Son poul est tout aussi désaccordé. Il faut lui trouver un médecin... Que m'a-t-elle dit ? Yaga est à une demie-journée de marche ? Aller retour j'en ai pour une journée, en partant du principe où je trouve un médecin dans la première minute.

Sans que je comprenne réellement comment, j'observe une bulle aussi lumineuse qu'un soleil, aussi verte que de la chlorophylle. La lueur verte se diffuse de mes mains jusqu'à l'ancienne, la recouvrant d'un halo vert clair. Lentement, la dame s'endort alors que je ne sais pas ce qui se passe.

La lumière s'estompe, laissant la dame dormir paisiblement. Je décide d'attendre son réveil avant de partir.

- Mademoiselle ?

– Oh ! Vous êtes réveillée !! Vous sentez-vous mieux Madame ?  

- Oui. Vous ne m'aviez pas dit être une magicienne... Une magicienne médecin... J'ai eu de la chance de vous rencontrer.  

Rougissant, ne désirant pas lui dire que je ne savais pas que je pouvais faire cela, je la laisse me remercier. Elle a dormi le plus gros de la journée. Le soleil se couche. Nous nous mettons d'accord sur un dîner ensemble et je partirais demain matin. Elle me donne une robe blanche, appartenant à feu sa fille. Elle me montre où je peux nettoyer mes vêtements. Pendant qu'elle cuisine, je nettoie mes vêtements, heureuse qu'elle comprenne.

Lorsque je me couche, mes vêtements sont toujours humide. J'ai une pensée sur ma tenue du lendemain, et conclue que je verrais selon le temps.