Le réveil était soudain et inattendu, une sorte de signal de détresse de la part de mon compagnon canidé qui survolait régulièrement la région tout en surveillant les frontières, jouant parfois les éclaireurs dans les régions voisines de Viridia. Cette détresse n’était pas alarmante, elle était même ponctuée d’une pointe de tristesse. Lorsqu’il arriva à la cathédrale de Yaga à ma demande, il se posa simplement sur le toit qui bordait la fenêtre de mes appartements. Son regard laissait transparaître cette tristesse que j’avais ressentie de sa part, je posai ainsi mon front contre le sien, liant plus intimement nos cœurs pour comprendre de quoi il en retournait.

Une larme se mit à perler sur ma joue en recevant les bribes de souvenir de sa ronde, sans plus attendre, je m’équipai comme à mon habitude et nous prîmes notre envol dans la seconde suivante. Les gardes de Viridia étaient habitués à mes escapades nocturnes, et n’avaient donc nulle raison d’être tenus au courant bien qu’ils savaient que cela m’engageait souvent à m’absenter des jours, voire des semaines durant. Ce n’était pas la première fois que ce sentiment me parvenait de la part de mon loup, nous l’ignorions tout simplement jusqu’à ce qu’à force, cette rancœur et se regret se cumule dans son cœur pour le partager avec moi. J’endossais son fardeau avec lui pour lui réduire sa tristesse quand nécessaire, mais également apaiser sa rage quand elle l’aveuglait. C’était ça la voix du cœur.

Nous arrivâmes après quelques minutes à planer près d’une rivière. Je me laissais guider par mon compagnon et nous découvrîmes alors un corps inerte au bord de l’eau. Ce n’était que le premier d’une longue série… Au pied des Mille Silex, des corps desséchés et partiellement décomposés. Au cœur de la Forêt Carnivore, de simples squelettes dépecés de toute leur chair. En bordure de la Forêt Enchantée, d’autres personnes dont leur cadavre fusionnait lentement avec la végétation. C’était tout cela que mon loup découvrait à chaque fois que ce pincement au cœur me prenait. Mais il n’y avait pas que cela. Tout au long de ce périple à travers la région qui me prit quelques jours pour me recueillir ainsi auprès de chaque corps, non sans m’arracher une larme quand une magie quelconque animait encore leur âme et me transmettait leurs regrets.

Chaque jour, je transportai un corps, offrant à chacun une sépulture décente au côté de tous mes compagnons vertueux de la première vague n’ayant pas survécu au voyage à l’époque. J’érigeai ainsi au cœur de la forêt enchanté un véritable mémorial tout autour de la faille. Taillant moi-même à l’aide de mes épées une stèle par personne. Je restai ainsi en silence durant tout ce temps, sans même adresser un mot à mon loup qui m’accompagnait dans cette épreuve tant physique que mentale. Je n’avais pas de raison particulière de faire cela mais j’étais tout de même désireuse de rendre honneur à chaque victime de ce monde cruel qui ne leur a probablement pas laissé le choix.

Une fois la dernière pierre posée, je pris un instant pour me reposer au bord d’un ruisseau, observant mon propre reflet. Le poids de ses années commençait à se faire ressentir, dégradant lentement la couleur de mes cheveux acquise par le sang elfique. Seules deux mèches subsistaient. Je relevai la tête vers les cieux, demandant tout bat…

« Est-ce la ta volonté ? Emprisonner de pauvres âmes errantes sur ces terres et laisser ces personnes livrées à elle-même jusqu’à ce que mort s’en suive ? A quoi bon être tout puissant Infinity si c’est pour ne rien faire ?... »

Terminant sur ces mots, je gardais les yeux dirigés vers le ciel azuré qui se distinguait entre les feuillages. Jusqu’à ce qu’un étrange sentiment d’espoir m’envahisse et me tire hors de ma réflexion, accompagné d’une lueur mystique en contrebas dont je m’empressai de découvrir la provenance d’un mouvement de tête. Un renard luisant se trouvait alors face à moi, au milieu de toutes les tombes. Ses yeux étaient dirigé vers la cime des arbres, peut-être essayait-il de voir ce que moi-même je regardais, et quand enfin il redirigea son attention vers moi, c’était comme si le temps s’était arrêté.

Figé dans cet échange muet et apaisant, ni moi, ni lui ne bougeaient. Le bruit de l’eau du ruisseau rompait avec le calme absolu de la scène mais accentuait également cette paix ambiante. Il n’était pas sur ses gardes, ni offensif, juste passif. Peut-être se questionnait-il autant sur ma présence que moi sur la sienne. Sa présence était peut-être liée à ma peine pensais-je alors, une sorte de salut, un signe quelconque d’Infinity qui me faisait grâce de sa réponse… Je n’en savais trop rien mais je ne souhaitais pas briser ce moment presque intime avec l’animal. Même mon loup ne savait que trop en penser mais restait d’un calme absolu. Je tentai alors de lui dire quelque chose, sans aucune certitude qu’il me comprenne et puisse accéder à ma requête…

« Es-tu un émissaire d’Infinity ?... Si tel est le cas, alors assure au moins un avenir meilleur à ces personnes. Ce monde leur doit au moins bien cela après les avoir ôté à leur vie d’antan. »

Je ne savais pas si mes paroles l’avaient atteint d’une quelconque manière, mais je n’avais dit cela qu’avec toute la sincérité du monde, cette aura mystique m’ôtait tout doute possible quant à la bonté de cette créature turquoise. Peut-être n’était-il que neutre comme bon nombre de créatures animales ou éthérées, mais je gardais espoir. Je me mis même à croire qu’il m’avait compris quand il se mit à se mouvoir entre les stèles après mes paroles pour venir finalement près de moi et disparaître progressivement dans une myriade de lueurs similaire à un ciel étoilé. Comme si finalement, il n’avait jamais été là. Cette rencontre singulière me trotta longtemps dans l’esprit suite à cela. Je n’en dis trop rien quand je revint enfin à Yaga, mais il n’y avait pas de doute sur ce que je venais de vivre, mon ami canidé en était témoin.

Puisse-t-il apporter chance et fortune à tous les Vertueux et guider les âmes errantes dans son invraisemblable majesté…